Ernesto Contreras, qui passe avec Paupières bleues pour la première fois au long métrage, veut manifestement avec ce film dynamiter les archétypes de la comédie romantique. L’idée n’est guère neuve, mais la méthode l’est plutôt : parler avec acuité de la solitude des êtres en passant par le genre qui, par essence, s’éloigne le plus de ce thème. En définitive, une peinture sociale parfois pesante, mais fondamentalement réussie.
Marina Farfán est une petite main dans une entreprise de confection. La tradition veut que chaque année, la patronne de l’entreprise donne l’opportunité à l’un de ses employés de partir en voyage tous frais payés : cette année, c’est le tour de la discrète Marina, qui n’en demandait pas tant et ne sait trop que faire de ce merveilleux voyage. Après s’être rendu compte qu’elle n’a personne de proche avec qui le partager, elle décide de demander à Víctor, un ancien camarade de classe rencontré par hasard quelques jours auparavant, de l’accompagner. À l’approche du départ, ils tentent de se connaître l’un l’autre, et se rendent compte que finalement, ils ne partagent rien.
Il y a un peu de De l’importance d’être constant dans Paupières bleues. Wilde décrivait une société hypocrite dans laquelle cette hypocrisie même finissait par assurer une issue heureuse. Ernesto et Carlos Contreras, respectivement réalisateur et scénariste, confrontent le besoin physique et sociologique ressenti par deux êtres de se mettre en couple aux bornes posées en chacun d’eux par la solitude urbaine. Chacun ses problèmes de société : il s’agit dans Paupières bleues d’étudier la solitude et la façon dont ceux qui en souffrent finissent par ne plus savoir comment sortir de cet état, et si l’humour de Wilde était mordant et gracile, celui des frères Contreras est cassant et sans illusion.
Le quotidien morne des protagonistes est constamment mis en parallèle avec celui de Lulita, la patronne, vieille petite fille qui se rassure chaque jour en évoquant une anecdote symbolique sortie d’un conte de fée qui lui serait arrivée. Mais elle aussi est finalement seule, et les couleurs et la légèreté de l’environnement de la vieille dame, s’ils viennent en contrepoint de la pesanteur aux couleurs glacées du quotidien de Marina et Víctor, n’est qu’un autre visage de l’isolement. Pessimiste, Paupières bleues ? On dira plus volontiers réaliste, une volonté de réalisme, voire de vérisme, qui préside également à la mise en scène et au scénario. Cette pesanteur s’exprime avant tout par un choix heureux — ou du moins, cohérent — de moments de vie de ses protagonistes, et une mise en images judicieuse de ses acteurs. Posée en miroir glacé d’une myriade de films romanesques frivoles et légers, elle est cependant parfois trop lourde, distillant l’ennui manifeste des protagonistes jusque dans les rangs des spectateurs.
Paupières bleues semble vouloir dépeindre sans fanfreluche la naissance difficile d’une histoire d’amour entre deux personnes que tout oppose — un scénario propice à tous les Coup de foudre à Notting Hill du monde. Mais le film n’est pas dupe : s’il ne refuse pas la romance, il veut montrer qu’elle peut être autre chose qu’une grande passion romantique, sans perdre de sa sincérité. Marina et Víctor cherchent avant tout à éviter de se faire mal. Entre étude sociologique lucide de la solitude urbaine et exercice de style non dénué de morgue sur le thème de la romance cinématographique, le premier film d’Ernesto Contreras force le respect par la cohérence de sa démarche, s’il ne convainc pas réellement par la maîtrise de son expression.