Dans le mystère d’un matin brumeux sur les rives du lac du Sisga, un promeneur découvre un corps crucifié et empalé. Victor Silanpa, un journaliste détective à ses heures, est chargé de l’enquête par le colonel Moya. Mais en tirant le fil de l’histoire, il s’aperçoit vite qu’il démêle un sombre imbroglio : tenancier de bordel, jeune prostituée, politicien véreux, avocat lubrique, entrepreneur corrompu… Tous trempent dans une trouble affaire de biens immobiliers.
Découragé par son expérience politique au sein de la Chambre des Députés (inspirant directement en 1993 son film La Stratégie de l’escargot), Sergio Cabrera a choisi le cinéma pour vilipender la société colombienne, gangrenée par la corruption, la pauvreté et le trafic de narcotiques. De ce point de vue, Perdre est une question de méthode est efficace : avec un pessimisme acerbe, il décrit les bas-fonds de la ville et les dangereuses figures qui les hantent. Dans la froideur d’un néon et le clinquant de l’or facile coexistent le sexe vendu, les abus de pouvoir, la violence des hommes de main. Ambiance glauque et monde sans morale, l’écho de la Hard Boiled School n’est pas loin.
Seulement voilà. Un cadavre, une enquête, nous sommes dans un polar. Il est bien sûr entendu, à l’instar des dires d’Hitchcock, que « le genre policier, c’est un cake », un gâteau dans lequel on met n’importe quel ingrédient, une sorte de schéma qui permet de porter un propos sur le monde. Or si l’intrigue est souvent secondaire, elle doit néanmoins répondre à des règles. Une des plus importantes est la rivalité entre l’émetteur de l’histoire et le récepteur. Dans ce jeu de cache-cache, le réalisateur doit donner tous les indices, afin d’être honnête avec le spectateur, mais suffisamment bien les dissimuler pour le piéger.
Malheureusement, le film de Cabrera très vite s’embrouille dans ses segments narratifs. Adaptation maladroite ? Le passage fortuit d’une scène à une autre, la mauvaise caractérisation des personnages (en particulier Estupiñan, le Watson de Silanpa), et les invraisemblances (une prostituée qui ramène un client beurré chez elle) le laisseraient à penser. Toujours est-il qu’avec pas moins de quatre histoires en parallèle, agrémentées d’un dialecte notarial pour initiés, le spectateur se sent dès le début mis sur la touche. Que dire alors, durant l’incontournable scène de résolution, de la mauvaise foi de cet indice tombé du ciel sous la forme de sang sous les ongles du mort ?
La dérision qui habillait les dialogues du début du film était pourtant réjouissante. Un policier qui a les hémorroïdes douloureuses est d’emblée sympathique. L’incroyable désinvolture avec laquelle le colonel sous-traite son enquête à Silanpa fait sourire. De même pour le quiproquo sur « La Cène », fresque de Leonardo Da Vinci pour l’un, secte américaine pour obèses en mal de diététique pour l’autre. Mais trop souvent le réalisateur hésite dans le ton qu’il doit adopter. Ainsi le potentiel comique d’une virée dans un centre naturiste n’est pas exploité, et une fusillade sur un air guinchant d’accordéon laisse circonspect.
Discours citoyen et images du lointain, le film de Sergio Cabrera aurait dû être plaisant. Mais las, rater est également une question de méthode.