Après cinq ans de travail, la sortie de Pierre et le loup fait figure d’événement. Non seulement le film épuise le champ lexical de la dithyrambe par sa qualité technique, couronné à juste titre à de nombreuses reprises, mais son lancement commercial (avec une sortie simultanée au cinéma et en DVD) témoigne d’un exploitation d’une ampleur sans précédent pour un court métrage. Qui, pour tout dire, vaut bien l’effort.
Le compositeur Prokofiev écrivit son Pierre et le loup tel que nous le connaissons aujourd’hui à la demande du régime soviétique, qui désirait en faire le support d’une éducation à la musique pour les jeunes Russes. Le résultat, bien connu, transcende les frontières – qui, en effet, n’a pas entendu l’étonnant conte musical qui met notamment aux prises Pierre, le loup, et son malheureux canard ? Normalement accompagné d’un narrateur, la pièce réussit donc pleinement son rôle d’initiation musicale, mais constitue également un récit passablement émouvant.
Suzie Templeton, animatrice réputée de courts-métrage, a décidé avec sa version du conte, de se passer de la narration – une initiative heureuse, le contraire ayant certainement fortement alourdi son style – mais également une gageure importante. En effet, il fallait que l’expression cinématographique pallie cette absence, qu’elle supplée avec justesse le récit musical. Force est de constater que le gant est relevé haut la main par Templeton et son équipe.
Utilisant la technique d’animation popularisée par le studio Aardman pour la série des Wallace & Gromit, Pierre et le loup a donc nécessité près de 60000 clichés. Cependant, à la différence de la rotondité bonhomme de l’univers créé par Nick Park, Suzie Templeton et son équipe ont créé un univers d’une douloureuse précision, où vit chaque corps, chaque membre, chaque arbre, chaque partie, quelque petite qu’elle soit. La mise en scène est parfois excentrique et proche du corps (voir les contre-plongées audacieuses du duel entre Pierre et le loup) – une rareté dans cette discipline précise de l’animation.
Cette interprétation lyrique et remarquablement intégrée à l’espace représente donc tout autant un prodige technique qu’une performance artistique, un exercice de style dénué de gratuité qu’il convient de découvrir. Suzie Templeton s’est même payé le luxe d’opérer quelques changements narratifs par rapport au « livret » originel : elle ne se contente pas de livrer une nouvelle illustration, mais bien de proposer une nouvelle vision du conte de Prokofiev.
En exergue de Pierre et le loup, la sortie cinéma du film s’accompagne de celle du court-métrage Le Loup blanc, de Pierre-Luc Granjon, une découverte tout aussi intéressante – si le film ne partage pas l’aspect technique miraculeux du film de Suzie Templeton, sa narration onirique sombre et inattendue justifie pleinement de le découvrir.