Seul l’étranger Pierre Verger a pu être initié au candomblé, religion que partagent Brésiliens et Africains pour célébrer les esprits divins (orishas) de la Nature. L’ifà qui protège le Français semble être l’allégorie de sa vie : c’est le dieu orphelin qui a dû parcourir le monde pour choisir le lieu de sa demeure.
Le chanteur brésilien Gilberto Gil interroge les hommes et les femmes de Salvador de Bahia (ville du Brésil) où Pierre Verger, orphelin à l’âge de 30 ans, décide de poser ses valises. Mais ce sont aussi tous ceux et celles en Afrique que Giberto Gil sollicite pour qu’ils témoignent de la vie de celui qu’ils ont nommé Fatumbi (« de nouveau né grâce à l’ifà »). Ce deuxième baptême symbolise l’exceptionnelle intégration d’un intellectuel blanc parmi les peuplades africaines.
Le documentaire est construit sur le modèle du reportage. Gilberto Gil endosse le rôle du journaliste et Lula Buarque de Hollanda, caméra à l’épaule, le seconde. Tous deux partent sur les traces de Pierre Verger, au Brésil et en Afrique. Le reportage évoque alors le portrait de cet homme à travers les témoignages de ses proches et de quelques entretiens qu’il a donnés à son ami Gilberto. Ceux-ci sont d’ailleurs filmés en noir et blanc, comme pour signifier un dernier adieu à Fatumbi, décédé le lendemain de leur dernière conversation. Remarquons aussi que Pierre Verger a d’abord photographié les habitants du monde en noir et blanc. Lula Buarque De Hollanda crée donc un lien entre le portrait de l’homme en noir et blanc et ses photographies qu’il intègre savamment dans le documentaire.
Par ailleurs, Gilberto Gil cite en voix off des extraits des livres de Verger, ce qui a pour effet de rendre plus prégnante la présence de l’ethnologue photographe. L’effacement du narrateur laisse les images exprimer la culture de ces deux pays noirs (on appelle Salvador De Bahia la « perle noire du Brésil » du fait de sa population composée en majeure partie de descendants africains). Le foisonnement des couleurs, les sons tribaux des tambours qui rythment les fêtes du Brésil et de l’Afrique soulignent si bien les influences respectives de ces deux continents que, quelquefois, l’on ne sait plus où l’on se trouve. Cette perte de repère temporel souligne le mélange des cultures et des peuples dû à l’esclavage. Les esclaves africains venus remplacer les indiens comme main d’œuvre au Brésil ont apporté au pays leurs croyances, leurs Dieux, leurs modes de vie. Le retour en Afrique des descendants des esclaves africains mais aussi ceux des négriers explique que certaines coutumes du Brésil soient encore vivaces en Afrique. Un « flux et reflux » entre les deux continents que Pierre Verger met au jour dans son ouvrage du même nom, lequel ouvre de nombreuses pistes de recherche sur l’histoire du mélange culturel entre brésiliens et africains.
Ce documentaire se modèle sur le rapport au savoir qu’a entretenu Verger. La discrétion amène avec laquelle Gilberto Gil écoute les hommes et les femmes sans les accabler de questions participe à cette même honnêteté intellectuelle que Pierre Fatumbi Verger a su préserver dans ses ouvrages scientifiques et illustre la bienveillance de son immersion dans la religion du candomblé. « On pose des questions qui n’ont pas de sens », ironise Pierre Verger. Jamais il n’a questionné les Africains sur le pourquoi de leurs traditions et de leurs rites parce qu’il savait que les gestes et les cérémonies ne s’expliquent pas, ils sont l’héritage d’une culture ancestrale. La croyance en des esprits de la Nature unit les deux pays dans une même foi et tisse le lien entre le Brésil et l’Afrique, lien à travers lequel se dessine l’image de ce « messager » français. C’est parce que Pierre Verger a d’abord été initié aux rites du candomblé au Brésil par la prêtresse Mae Senhoa qu’il a été accepté comme Africain parmi les Africains. Et si Brésiliens et Africains ne sont pas très prolixes au sujet de ces rites devant la caméra de Lula Buarque de Hollanda, c’est parce qu’il pèse un secret sur cette tradition. Le silence des hommes permet de préserver la valeur de leurs coutumes et de leur foi en même temps qu’il opère une sorte de protection autour de leurs dieux.
Ce documentaire rappelle que le savoir se situe dans l’apprentissage et la connaissance de l’altérité ; qu’apprendre et connaître c’est savoir adopter l’autre en s’adaptant à lui. Une belle leçon d’humanité.