1982 – 2007. Entre la première sortie de Pink Floyd : The Wall, et sa ressortie sur les écrans français, cette semaine, les thèmes qu’il explore sont toujours valables. Critique acerbe des guerres (guerre mondiale, Viêt-Nam, décolonisation, mais aussi guerres intérieures d’un individu, Pink), le cinquième long-métrage du réalisateur de Midnight Express (1978) sert magistralement le génie musical d’un des plus grands groupes des années 1970. En faisant appel à l’animation, à la narration non chronologique et aux paroles des chansons pour tout dialogue, le film est à la fois un poème musical filmé et une réflexion sur les désillusions d’une vie humaine.
Pink Floyd : The Wall, comme l’indique le titre, est tout autant un film d’Alan Parker que de Roger Waters. Immense projet artistique du leader du fameux groupe britannique, The Wall devait être un film, un album (sorti en 1979), et une tournée de concerts avec un gigantesque mur sur la scène, pour symboliser la séparation avec le public. Il n’y eut pas de tournée, finalement, mais le film et sa musique emblématique ont fait le tour du monde. Roger Waters, qui s’est beaucoup inspiré de sa propre vie pour l’écriture du scénario, devait tenir le rôle titre de Pink. C’est finalement Bob Geldof, chanteur du groupe irlandais Boomtown Rats, qui l’incarna.
Fresque rock psychédélique autour d’un héros, Pink, The Wall n’en raconte pas moins une histoire, même si le montage et la mise en scène l’éloignent d’une narration traditionnelle et chronologique. Le père du héros est mort pendant la Seconde Guerre mondiale, avant que lui-même ne devienne une rock-star, dont on va suivre la déchéance. En toile de fond, les deux Guerres mondiales, le fascisme, la guerre du Viêt-Nam et ses mouvements contestataires, la répression policière, la morale conservatrice.
Avec ces thématiques, The Wall s’inscrit ainsi sous deux « parrainages » : celui du rock, de la libération sexuelle et de la contestation politique, et celui d’un certain nihilisme, que génère les guerres et les régimes fascistes. C’est un voyage musical, voyage à travers une histoire du vingtième siècle, voyage de l’innocence de l’enfance aux désillusions de l’adulte, servi par des scènes d’animation, confiées à Gerald Scarfe, célèbre dessinateur satirique britannique. Axé sur son héros, Pink, The Wall peut se lire comme une œuvre résolument pacifiste, Alan Parker se focalisant sur les traumatismes de guerre (il explorera d’ailleurs ce thème deux ans plus tard dans Birdy, avec Nicolas Cage dans le rôle d’un ancien soldat mobilisé au Viêt-Nam), et comme une œuvre anti-fasciste.
La grande force de ce film musical, presque sans dialogue, est que ni l’image, ni la musique, ne prennent le pas l’un sur l’autre. Au contraire, l’univers musical psychédélique des Pink Floyd, tantôt très rock, tantôt plus doux, tantôt sans parole, tantôt avec des rythmes changeants, jouant sur toute la palette des années soixante-dix, habille l’image tout autant que l’image porte la musique. Le remarquable travail de montage sert l’idée centrale de l’œuvre : mettre en scène un cauchemar filmé, dont les divagations de l’esprit de Pink servent d’ossature. Divagations qui plongent dans les souvenirs (Pink enfant, au côté de son père en permission pendant la seconde guerre mondiale, Pink à l’école brimé par des professeurs autoritaires — scène portée par la chanson titre de l’album, la fameuse protest-song Another Brick in the Wall), et dans les événements qui l’ont amené à construire un mur de protection autour de lui (les différentes guerres, la répression policière des mouvements étudiants, la rigidité du dogme religieux, l’amour qui fuit, l’incompréhension familiale…).
Autre indice de cette fusion de l’image et du son, les paroles des chansons, plus parlantes que n’importe quel dialogue : « Papa, qu’as-tu laissé derrière toi ? », « Adieu, ciel bleu », « Quand je suis un bon chien on me jette un os », « Je suis devenu confortablement engourdi », « L’enfant a grandi, le rêve est parti »… Des textes au service d’une critique radicale de la guerre, de la société de consommation, de la religion et des régimes policiers, des thèmes chers aux groupes de rock de ces années-là.
Si cette imbrication des images et de la musique et l’aspect de rêve filmé confère au film sa dimension principale, celle du symbolisme, l’histoire, bien loin, encore une fois, d’une narration classique, n’est pas pour autant laissée de côté. On peut à cet effet distinguer deux grandes parties, reliées par la situation présente du héros, comme emmuré dans son appartement, étranger au monde, en proie à des crises : celle relatant le passé, l’enfance, et celle dans laquelle l’ancienne rock star se transforme en dictateur endormant les foules (la dénonciation du régime nazi est d’ailleurs d’une redoutable efficacité).
Fresque musicale, à la fois cauchemardesque et poétique, dont l’idéologie est tout à fait dans la lignée des mouvements protestataires, à la forme toute psychédélique, Pink Floyd : The Wall, est tout cela à la fois. D’une redoutable efficacité, d’une redoutable actualité, par certains aspects : le spectateur d’aujourd’hui ne pourra s’empêcher de faire le parallèle avec la guerre d’Irak.