Alguma Coisa Assim (2006) et Saliva (2007), les deux premiers courts métrages d’Esmir Filho, ont voyagé en festivals et ont été primés à la Semaine de la Critique à Cannes. Le jeune cinéaste brésilien y révélait déjà une attention exacerbée à la perception. Saliva était le récit très sensoriel des minutes précédents le premier baiser d’une jeune fille, Play a Song for Me s’attache au quotidien d’un adolescent dont la crise existentielle se vit sur Internet. L’occasion de poursuivre la mise en scène des sens au format long, avec une maîtrise étonnante des formes visuelles et sonores, mais un ensemble qui manque d’unité et appesanti de certaines scènes excessivement répétées.
L’écran est noir, la chambre est sombre. Les doigts courent sur le clavier et les messages du chat passent dans les bulles, s’accompagnent d’émoticônes, attendent l’écho d’une réponse qui lorsqu’elle apparaît emplit la pièce. Plus tard l’adolescent s’allonge et ses doigts continuent de pianoter, cette fois sur l’interrupteur d’une lampe de chevet qui alternativement illumine le plafond puis le laisse à la nuit, quelques étoiles de plastique fluorescent dégouttant leur lumière. Une lourde basse accompagne l’interrupteur, la caméra monte lentement, comme une volute ou comme une âme.
« Mr Tambourine Man », jeune blogger fan de Bob Dylan, traverse l’adolescence dans sa petite bourgade sud-brésilienne. Son univers est musical, virtuel, fumivore. Quelques amis, l’environnement d’une nature entêtante, un pont où se suicida une envoûtante jeune fille qu’il continue d’aimer en se repassant les vidéos et les traces laissées sur le web, son amant tenu pour responsable mais qui le fascine, l’exutoire qu’est Internet… Play a Song for Me suit dans le creux de ces histoires la crise qui amorce le passage de l’enfance à l’adulte, ce deuil symbolique, et celui de quelques réels décès.
Esmir Filho, 26 ans, capte habilement une adolescence pour qui Internet et les réseaux sociaux sont à la fois terrain d’expérimentation, moyen d’expression et épreuve de soi face au monde. Loin d’être un centre étouffant malgré une pointe anxieuse et moraliste dans la vision du virtuel, il s’agit de les montrer comme vecteur et non d’en faire la critique. On pourra même préférer voir dans la très forte sensitivité du film une image du pur dérèglement hormonal agissant sur la perception du protagoniste. Non pas une vue subjective : une perception subjective, traduite par des oscillations impressionnistes, fantastiques, ultra ou surréalistes qui à l’intérieur même de chaque scène prennent le pas sur l’histoire. L’image, très belle, envoûte, joue d’une ambiance sombre et sonore, est travaillée par les formes indiscernables qui l’occupent et la débordent : forêt, campagne, intérieurs.
La cohérence forte de la forme et du sujet, le rendu intelligent de la délicieuse léthargie dépressive de cet âge flottant, n’empêche pas une lourde alternance des scènes narratives et sensitives. D’autant que la justification psychologique de la perception des personnages oriente un peu trop sa narration. Le beau naturel du singulier rapport au monde d’un artiste (le style d’un réalisateur), tendant à devenir un ressort à force de justifications, un effet à visée cathartique (l’habillage d’un personnage, d’un scénario). L’abstraction trop expliquée devient factice. Les scènes à la texture vidéo – celles de la jeune femme perdue – trop identifiables, trop claires, deviennent une lourde ponctuation. Ainsi une impression de répétition essouffle le spectateur. Il est probable qu’avec un peu plus d’expérience, un scénariste plus rodé (qui est ici l’auteur du livre dont le film s’inspire), Esmir Filho crée rapidement un cinéma d’un rythme plus ordonné, possible même qu’il devienne un réalisateur important. Les séquences les mieux liées – dans la dernière partie du film – en sont l’encourageant présage.