Plogoff, qui documente l’opposition de la petite commune bretonne de Plogoff à la construction d’une centrale nucléaire sur les côtes bretonnes en 1980, ressort au cinéma. Pendant près de deux heures, la réalisatrice et son mari caméraman Félix Le Garrec suivent au quotidien les actions de protestations des habitants concernés. Le projet, sous la pression des manifestants, sera finalement abandonné.
Le film s’ouvre sur une suite de vues aériennes de la côte bretonne, avec ses champs et ses petites communes, puis s’attarde sur différents habitants de la côte. Ces derniers jouent chacun un rôle dans l’organisation de la vie de la commune : ils sont pêcheurs, maire, paysans ou retraités avec un accent à couper au couteau. Plus que des témoignages recueillis, c’est une suite de visages, de corps, voire de personnages qui nous sont présentés comme les résistants dans la lutte à venir. Plogoff prend corps à travers ses habitants qui défendent leur culture face à un projet gouvernemental qui ne les regarde pas. Cette pluralité de voix et de corps forme une société contre un État qui cherche à l’écraser. Si les plogoffistes « ne sortent jamais de leur trou » et peuplent « la dernière commune à la pointe du vieux monde » selon une jeune fille du village, la caméra dévoile pourtant une communauté à part entière, par le truchement de photos d’un mariage, ou encore avec la rencontre entre des villageois et des habitants du plateau du Larzac. Le film montre la cohésion de gaulois réfractaires qui composent une société avec ses propres méthodes d’actions. La beauté du film réside ainsi dans cette idée que Plogoff n’est pas seulement un territoire de bord de mer à défendre : elle est une localité organisée comme un bien collectif, soit l’incarnation du principe de Commune. La politique naît des témoignages : des vieilles femmes parlant un dialecte breton sont longuement interrogées, tout comme les hommes qui furent d’anciens soldats de la guerre d’Algérie et se retrouvent désormais face aux forces de l’ordre.
Une lutte en images et en voix
Si le film suit chronologiquement la trame des événements, il tisse également une narration dont les moments de bravoure correspondent aux séquences de manifestations, au point que la matière documentaire se voit attribuer une force et un ton qu’on s’attendrait à retrouver davantage dans une fiction. L’alternance d’images captées caméra à l’épaule et de photos argentiques en noir et blanc, dissociées du son direct enregistré lors des protestations, participe de cette dynamique fictionnalisante qui se prolonge durant les témoignages ou lorsque la commune est filmée au calme.
Le dernier plan du film montre une digue face aux vagues de la mer, sur laquelle est écrit « Non au nucléaire ». Les côtes bretonnes auront réussi à faire front à ceux qui voulaient les empoisonner. Si Plogoff est bien un film de cinéma, c’est non seulement parce qu’il met en lumière une réalité sociale en la laissant s’exprimer par ses corps, ses visages, ses mots et ses paysages, mais aussi parce qu’il retravaille cette matière par le montage, avec une multiplicité d’images photographiques ou symboliques s’accordant à la multiplicité des voix du village.