La multiplication exponentielle des claviers, transformant chacun de nous en secrétaire potentielle, a mis de fait au chômage les dactylos et autres sténographes. Mais fut un temps où cette profession offrait aux femmes une carrière (et donc une libération financière du joug masculin) et parfois même une reconnaissance nationale par le biais de concours. C’est de ce temps que nous parle Regis Roinsard dans son premier long-métrage Populaire. Fort d’une reconstitution soignée des années 1950, le film fait le pari d’un rétro chic, sondant une époque révolue mais fondatrice des rapports hommes/femmes modernes. Si l’émancipation par la machine à écrire fait ressurgir des clichés phallocrates, force est de constater que le propos n’est pas dénué d’intérêt. Mais de là à en faire un film ?
Rose Pamphyle (Déborah François), jeune Normande, s’entraîne la nuit sur la machine à écrire de l’épicerie paternelle, car elle rêve de quitter sa bourgade pour embrasser la carrière de secrétaire en ville. Elle part pour Lisieux et y décroche un poste dans le cabinet d’assurances de Louis Échard (Romain Duris). Sa vitesse de frappe incroyable va bientôt donner des idées à son patron : Rose pourrait bien devenir la championne du monde de dactylographie. Film initiatique, Populaire suit le parcours de cette provinciale un peu godiche jusqu’à New York, ou comment une chrysalide se métamorphose en papillon.
Plongé dans la France d’après-guerre, Populaire brille dès les premières minutes par un souci méticuleux du détail. Costumes, décors, objets, tout est parfaitement à l’image de l’époque, ou du moins au fantasme qu’on s’en fait. Mais, lorsque les louanges d’un film débutent par sa qualité de reconstitution temporelle, cela n’augure rien de bon. Populaire, sous ses airs d’hommage aimant à un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître, véhicule malheureusement autant de clichés que de colifichets vintage. Sous couvert d’observer la libération féministe en marche, le métrage flirte avec les archétypes les plus rétrogrades et machistes qui soient. Le diptyque féminin Déborah François / Bérénice Bejo, a priori en opposition (l’une cherchant du travail pour s’assumer seule, l’autre mariée et femme au foyer soumise à son époux), fait pourtant écho aux mêmes codes masculins : érotisation du corps à travers pléthore de robes, séduction du mâle pour arriver à ses fins, inégalité des positions sociales… Le personnage de Rose croit s’émanciper en gagnant un concours, mais elle répond en cela aux désirs de son patron, en quête de rédemption. L’ancrage historique de Populaire se dévoile en effet aussi par le biais de l’engagement de Louis dans la Résistance durant la guerre, de son manque de courage, de son sentiment de culpabilité et de sa volonté de rattraper ses erreurs par l’entremise de Rose. Focalisé sur le regard de l’homme, le film semble de plus se réjouir de la « réussite » de Rose, alors que la jeune fille reproduit inconsciemment un schéma dominateur. Aucune chance pour elle de devenir patronne, elle n’incarne que la réalisation du rêve de Louis, gravissant le maigre échelon que la société lui autorise, celui d’être le gratte-papier du vrai maître.
Servi par un casting gentillet (Romain Duris cabotin et Déborah François œil de biche), Populaire propose une bluette (les deux protagonistes se devant de tomber amoureux), plutôt réussie mais n’impose jamais le rythme comique qui aurait dû l’innerver. Malgré certaines idées de mises en scène amusantes (l’entraînement sportif de Rose pour se préparer aux championnats donnant naissance à quelques éclats de rire bienvenus), le premier long de Regis Roinsard ne convainc qu’à moitié. Cherchant à dénoncer une vision rétrograde et réifiée de la femme, le film s’enferme finalement dans sa reconstitution historique, jusqu’à faire sienne la pensée misogyne d’alors.