La poursuite démarre. Nous nous familiarisons peu à peu avec la jeune Audrey, le ton naturaliste, la discrétion de la mise en scène, l’authenticité des interprètes. Le documentaire surgit alors dans une courte séquence d’interviews. D’autres femmes, semblables à Audrey, mais différentes tout de même, témoignent sur leurs histoires personnelles, la façon dont leur vie se partage entre la femme qu’elles veulent rester et la mère qu’elles veulent devenir. L’autrice, réalisatrice et interprète insuffle à son premier long métrage une dimension documentaire habilement gérée. Il puise son énergie dans son humilité : tandis que les doutes qu’elle affronte font d’Audrey le cas typique d’une certaine condition moderne de la femme, ce sont bien ses choix qui lui construisent une identité propre. Sans prétention générationnelle, mais questionnant constamment la situation des jeunes mères et le regard que la société leur porte, Poursuite est un premier film enthousiasmant et qui vaut bien qu’on retienne le nom de Marina Déak.
À fleur de peau
La principale force, énergie motrice du film réside dans le naturalisme du jeu. Les dialogues sonnent juste, les répliques ne fusent pas, ni ne se font attendre, la banalité est souvent là ; il y a quelques fausses notes bien sûr, et elles forment la touche finale d’une direction d’acteurs ultrasensible qui montre une vraie capacité à synthétiser le quotidien, le transposer à l’écran. Audrey n’y déroge pas, et au lieu de s’analyser, d’extérioriser, de s’ouvrir à vif, ce sont bien ses silences qui font mouche. Elle n’a ni confident, ni journal intime. Tout est zone de conflit, terrain glissant : sa mère, son nouveau compagnon, une vieille amie croisée dans la rue, la renvoient à ses doutes plutôt que de l’épauler. Elle ne partage avec nous que ses craintes, leurs manifestations timides, les dysfonctionnements qu’ils amènent dans sa vie. Elle n’est pourtant pas si fragile : les doutes deviennent des choix, puis les choix se tempèrent. Nous réfléchissons avec elle – c’est une réussite, parce qu’une fiction n’est pas une dissertation.
À l’image de ce naturalisme, la réalisation très discrète de Déak se limite à une lisibilité sans retouches. Le film propose pourtant une gamme assez variée de dispositifs, qui sont souvent la conséquence logique de l’action : statique à l’extrême pour un dialogue à table, débridé comme les ébats d’Audrey et de son nouveau petit ami. Ils ont tout de même en commun la quasi-inexistence du monde extérieur, d’un insert sur un objet, d’un autre point de vue. Le parti-pris est un regard presque monomaniaque sur le cas d’Audrey. Quelques exceptions pourtant : le film s’ouvre sur des plans du métro parisien. La caméra vole d’un visage à l’autre, s’arrête le temps d’imaginer quelles pensées médite cette petite fille, cet adolescent, ce couple de retraités. D’abord, parce que chacun porte une histoire silencieuse qui aurait aussi pu nous être racontée. Aussi parce que l’ambition de parler de tous plane probablement sur les enjeux du film. Elle est abordée sans obsession : le monde réel, omniprésent, résonne dans le jeu des acteurs, dans les lignes conductrices du récit, mais il n’entrave jamais la nature tout à fait unique du personnage principal.
Cette nature est d’ailleurs sujette à un vrai débat. Le dilemme, lui, est attendu : Audrey a la trentaine, elle est mère d’un enfant de six ans, séparée du père, couverte de responsabilités ; elle veut à tout prix rester une femme, libre et désirable, mais sa maternité la rattrape. Très originalement, Audrey ne veut pas être mère. Ce fils qu’elle aime, qu’elle chérit, elle ne veut pas l’élever. Elle veut le retrouver, jouer avec lui, mais elle ne veut pas partager son quotidien. La grand-mère le prend en charge avec joie. Pour un moment. Pour un moment ? Peut-être plus ? C’est là toute la question morale que pose le film, et qui nous met face à ces bastions sociaux qui ne tombent pas, parce que nous ne voulons pas vraiment qu’ils tombent. Est-ce que toutes les libertés sont bonnes à prendre ? A‑t-on le droit de ne plus être mère ?
Étonnant choix que celui d’une femme qui fait peut-être face non pas au rejet d’une maternité future, mais à l’abandon d’une maternité déjà faite. Un terrain qu’on ne s’attendait pas à fouler, et qui questionne d’autant mieux le vaste sujet de Poursuite. Le résultat est un film intelligent, rythmé, humble et toujours pertinent dont la faible distribution le privera malheureusement de la visibilité qu’il mérite. Espérons donc entendre à nouveau parler de Marina Déak.