Ce film est prêt à tout, c’est certain, mais il prend son temps pour en venir au fait, il va donc falloir en raconter un peu. Alors voilà : Max, étudiant insouciant et peu brillant, a le coup de foudre pour sa condisciple Alice, plus bosseuse, mais surtout très engagée dans le domaine social. Il y va au baratin, prétendant partager son engagement, mais c’est raté. Huit ans plus tard, lui et ses deux potes ont fait fortune en créant un site de rencontres et se la coulent douce en Thaïlande ; Alice, elle, a dû interrompre ses études et travaille à l’usine pour nourrir seule son enfant. De passage en France, Max retrouve la trace d’Alice, voit sa propre flamme ravivée et, apprenant que l’usine est en faillite, la rachète. Mais comme Alice, en bonne enragée de gauche, n’aime pas les patrons, Max a l’idée fumeuse de se faire passer pour un ouvrier pour l’approcher — ce qui lui donne l’occasion de se dresser en héros du prolétariat en « négociant » des avantages faramineux pour les employés… Si Max, de volte-face en volte-face, a décidément du mal à s’assumer comme il est, le film, lui, ne fait qu’un effort de surface pour dissimuler sa vraie nature. Soit un produit pensé par et pour la télévision (on le doit à StudioCanal), carburant aux gags à peine dignes d’un épisode de Soda, aux drames en deçà du minimum de Plus belle la vie et aux stéréotypes affichés avec un sourire cool (bonjour l’image de la Thaïlande), et rendu encore plus antipathique par son simulacre de générosité et son point de vue social d’un autre âge.
La loi du plus friqué
Rarement a‑t-on vu une prétendue comédie baser à ce point son comique sur les antagonismes mesquins, dressant les catégories les unes contre les autres : non seulement les patrons contre les ouvriers, mais aussi les mauvais dragueurs contre les bons, ceux qui travaillent de leurs mains contre ceux qui tirent profit du virtuel, ceux qui réussissent contre ceux qui galèrent… On a d’ailleurs droit à un beau manifeste de la droite décomplexée tendance Le Point / L’Express, quand un Max lyrique accuse son père, un travailleur à l’ancienne, de mépriser sa réussite par pure jalousie. De toute manière, dans les oppositions qu’il orchestre, Prêt à tout choisit toujours opportunément son camp. Ses subterfuges de scénario, mal déguisés par la façade décontractée et la mise en scène transparente, sont inaptes à dissimuler son fond moral repoussant — à savoir que c’est celui qui a le pognon qui a la liberté, et que c’est lui qu’il faut applaudir. L’utopie sociale dégoulinante que le film agite, singeant un Front Populaire du XXIe siècle (Max fait même installer une garderie d’enfants dans son usine pour les mamans ouvrières — mais tout ça c’est par amour, vous comprenez), saute aux yeux comme un fantasme de paternalisme patronal cauchemardesque, puisqu’elle ne fait jamais oublier que si Max accomplit tout cela, c’est bien parce qu’il est le patron. Les ouvriers, eux (en dehors, évidemment, de l’objet du désir de Max — et encore…), n’apparaissent que sous le cliché condescendant de la masse plutôt anonyme, laborieuse, jamais contente sauf quand les avantages lui tombent tout cuit dans le bec.
Même la dernière partie, qui fait mine de remettre cette mascarade en question (attention spoiler : Max tombe le masque), finit par y souscrire une fois de trop, l’ultime acte de repentance du héros envers ses salariés et la femme qu’il aime n’étant possible, là encore, que parce que c’est lui qui a le pouvoir. Et nous de nous lamenter, une fois de trop, sur l’état de la comédie française d’inspiration télévisuelle, qui ne sait décidément que flatter les instincts les plus rétrogrades en agitant ses stéréotypes moisis avec un sourire de connivence. Le fait que ce spécimen-ci vienne de StudioCanal, émanation d’une chaîne de télévision posée jadis en modèle d’impertinence et de progressisme, a de quoi faire rire jaune.