Édifiante à plus d’un titre, l’étonnante et véridique histoire qui sert de toile de fond à Pride réunit tous les ingrédients des immenses succès populaires du cinéma britannique de la fin des années 1990, comme Les Virtuoses ou The Full Monty : un contexte social morose, une communauté unie dans l’adversité, une bataille à mener avec les moyens du bord et, pour la gagner, l’idée géniale d’utiliser les armes les plus inattendues. Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs à Cannes cette année et lauréat de la Queer Palm, le film de Matthew Warchus transpire la volonté de plaire au plus grand nombre tout en flattant la fibre nostalgique d’un passé militant de plus en plus révolu. Au-delà de ses prises de position éminemment louables et absolument indiscutables, Pride joue à fond la carte de la pédagogie… quitte, souvent, à enfiler de gros sabots. Sur ce point, Warchus ne cherche guère à s’élever au-dessus de ses modèles : même si l’anecdote réelle dont il s’inspire est totalement inconnue du grand public, le réalisateur emprunte un chemin ultra-balisé qui a fait ses preuves. Amateurs de créativité formelle et de subtilité scénaristique, passez votre chemin : pour Matthew Warchus, le cinéma populaire porte ses messages sans s’encombrer de détours.
Marchons, marchons…
Le résultat est à la hauteur du parti-pris : le film est souvent drôle, réellement émouvant, parfois agaçant dans sa façon d’user et abuser d’effets attendus sur le clash des cultures, quelque peu empesé dans sa solennité larmoyante, mais redoutablement efficace. Si le contexte politique dans lequel s’inscrit Pride évoque beaucoup de choses (1984, Thatcher au pouvoir, la Grande-Bretagne étranglée et les mineurs en grève), les événements qu’il relate semblent presque trop énormes pour être vrai : lors de la Gay Pride de Londres, un groupe d’activistes gays et lesbiens s’unit pour récolter de l’argent pour les familles des mineurs grévistes. L’idée : se battre ensemble, quelles que soient les différences, contre un seul et même ennemi commun, Thatcher. Quelque peu gênée aux entournures à l’idée de recevoir une aide financière venant d’une communauté alors très peu intégrée et frappée par l’apparition récente du SIDA, l’Union Nationale des Mineurs traîne la patte. Jusqu’à ce qu’un petit village minier du Pays de Galles accepte l’offre du groupe, qui embarque illico dans un mini-van pour partir à la rencontre des ouvriers.
Étendards
La galerie de personnages que dépeint le film fonctionne sur une série d’archétypes auxquels il est facile de s’attacher. Côté gay, on trouve un jeune leader charismatique qui n’a peur de rien et est toujours prêt à en découdre, un gamin qui étouffe dans sa famille conservatrice et découvre les vertus d’une communauté qui lui ressemble, un libraire discret pour lequel le retour au Pays de Galles de son enfance signifie renouer avec son passé douloureux, son compagnon excentrique et grande gueule, quelques lesbiennes qui semblent ne jamais se mettre d’accord… Côté mineurs, se distinguent dans le village rempli de sceptiques un timide mais audacieux meneur, un vieux garçon dont le calme apparent cache un secret (Bill Nighy, toujours parfait), une sexagénaire qui n’a pas froid aux yeux (Imelda Staunton, toujours insupportable), une jeune mère de famille dont le potentiel intellectuel peine à s’épanouir dans son environnement corseté… Personne ne manque à l’appel (pas même une « méchante » mégère aigrie qui refuse de militer aux côtés de la communauté gay), et le principe du mille-feuilles ne tarde pas à se retourner contre le film, qui semble souvent ne pas savoir quoi faire de tous ses personnages, en réduisant certains à de simples faire-valoirs ou des porte-drapeaux peinant à exister au-delà de la caricature. C’est d’autant plus dommage que certains d’entre eux, très beaux et portés par des interprètes remarquables, auraient mérités que le cinéaste leur consacre plus qu’une poignée de scènes parfois un peu expédiées.
Force de frappe
Pourtant, le souffle revendicatif du film, sa force brouillonne et son énergie volontaire parviennent à tout emporter sur leur passage. Moins parce que Pride se repose sur un argument de vente imparable mais qui n’a pas grand-chose à voir avec le cinéma (le fameux « inspiré d’une histoire vraie » qui cautionne si souvent tout et n’importe quoi), mais parce que le film embrasse avec brio l’idée même de ce que peut être une œuvre populaire : un film qui parle au plus grand nombre de personnes dont le quotidien est chamboulé par l’ouverture au monde et aux autres. L’argument peut faire sourire par son apparente naïveté, mais le film est si dénué de toute tentation populiste qu’il parvient à faire oublier ses défauts de fabrication. Il n’y qu’à voir la scène de fin, qui flirte en permanence avec le ridicule par sa volonté unificatrice, mais est portée par un tel élan idéaliste qu’il est quasiment impossible de rester de marbre. Toujours sur le fil, mais jamais par terre : Pride vacille peut-être souvent, mais il trace son chemin avec panache.