Estampillé « production Guillermo del Toro », Rabia débarque en France avec cette fière étiquette et laissait présager un film de genre sympathique. Présomption qui vole en éclats très rapidement, à cause d’un scénario aux ficelles apparentes et d’une mise en scène paresseuse.
Prendre un sujet de société pour l’aborder sous l’angle du film de genre est une constante du cinéma américain depuis les sixties, et l’on peut voir depuis une décennie fleurir abondamment ce type d’entreprise dans d’autres cinématographies. Le cinéma ibérique n’est pas en reste, et Rabia fait partie de cette mouvance : même si le réalisateur est équatorien et le producteur mexicain, le film prend place dans une réalité sociale espagnole qui le rend indissociable de la péninsule. Rosa et José María sont deux immigrés sud-américains qui vivent un début d’histoire d’amour, tout en galérant à Madrid. Elle est domestique dans une grande maison habitée par un couple de vieux riches aigris (monsieur est psychorigide, madame est à moitié alcoolique), pendant que lui doit subir les railleries racistes de son chef de chantier, antagoniste caricatural. D’emblée, quelque chose coince, la situation de départ des deux personnages semble trop bouchée et archétypale pour développer une réflexion intéressante sur leur condition d’immigrés. D’autant que le film bascule très rapidement dans le thriller bas de gamme : José María va assassiner son chef de chantier sous le coup de la rage (rabia en espagnol), et se retrouver obligé de se planquer dans la grande baraque des patrons de Rosa. Commence alors un éreintant et interminable round d’observation où José María, réduit à une position de voyeur impuissant, va assister à tous les sévices et péripéties que subira Rosa.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle en prend pour son grade, la pauvre. Normal, me direz-vous, lorsque l’on est immigré, on se doit d’en prendre plein la gueule. Pendant que José María se terre comme un rat au fin fond de la maison, Rosa va devoir repousser les avances du fils à papa de service (alcoolique, lui aussi), cacher sa grossesse aux yeux de tous, ménager la chèvre et le choux entre ses patrons et la police… Le film s’emporte alors dans une série de péripéties tantôt grotesques, tantôt prévisibles, et se constitue en une partie de cache-cache géant sans grand intérêt. La mise en scène se résume en une multiplication des points de vue, suivant que l’on observe ou est observé, pendant que l’ennui gagne progressivement du terrain car l’on attend désespérément le moment qui réunira les deux protagonistes. Mais Cordero étire le récit jusqu’à l’overdose, le tout appuyé par une musique insistante qui vient nous dire à quel moment il faut « ressentir des choses ». Le film est même assez glauque, toute relation entre être humain étant viciée de l’intérieur. Et l’on a finalement du mal à croire en cet amour quasi virginal entre un homme dominé par des pulsions de violence, et une jeune femme forte mais trop naïve pour voir la réalité en face : cette rencontre avec José María serait peut-être bien le pire évènement qui se soit produit dans sa vie.