Taylor Hackford retrace la vie mouvementée de Ray Charles consacré « Genius » dans les années 1960. Le réalisateur s’intéresse ici à l’homme avant tout : de Ray Robinson à Ray Charles, il reste toujours Ray, l’enfant noir qui perd à la fois son frère et la vue à l’âge de sept ans, traumatismes avec lesquels l’adulte devra apprendre à vivre.
Le choix du seul prénom pour titre, et non pas du nom de scène comme on aurait pu s’y attendre, resserre le projet biographique. L’enfance heureuse de Ray lorsqu’il n’était pas encore aveugle est représentée par les parcimonieux flash-back au cours de la narration chronologique et contrastent par la luminosité des images avec l’atmosphère sombre et enfumée des music-halls dans lesquels l’homme va expérimenter le « vide total », comme il l’appelle, de la drogue.
L’intérêt de cette « vie exceptionnelle » ainsi que la présente l’information médiatique ne semble pas être pour Taylor Hackford l’aventure d’un génie mais plutôt la rencontre d’un homme avec la drogue, les femmes et le succès. Toutefois, on apprend ce qui se cache derrière l’épithète de « Genius » si habituellement accolé au nom de Ray Charles que l’on ne sait plus en quoi consiste sa génialité. Musicien aveugle et noir, Ray Charles a d’abord été considéré comme « bon qu’à faire de la country » (genre considéré mineur par le jazz) ou à imiter les déjà grands (il joue plus comme Nat King Cole lui-même, dira-t-on de lui). Mais la révolution musicale de ses compositions ne tarde pas à voir le jour avec « I’ve got a woman », chanson d’amour sur un gospel. Sacrilège pour les uns, révolution pour les autres, Ray Charles s’impose comme un véritable créateur en alliant chants profanes et gospel. Comment a-t-il eu l’idée de chanter la sensualité sur un rythme traditionnellement dédié à la prière ? Une genèse que l’on regrette qu’elle ne soit pas suffisamment abordée de front même s’il semble que l’aura sexuelle du musicien, très largement illustrée dans le film, l’ait conduit vers cette approche musicale.
« Une musique toute les deux minutes », applaudit-on autour de ce film alors que tous les titres joués sont coupés et que la musique ne trouve sa place que dans la bande son du film. Nous assistons à distance à l’avènement de cette musique par les séquences sur les concerts, les enregistrements studios avec les Raelettes qui donnent à la biographie des airs de documentaire-fiction. Taylor Hackford nous présente sa vision de l’homme et non du jazzman en réservant à la musique une place identique à celle de la drogue, des femmes ou de l’argent. Les passionnés du rhythm-and-blues peuvent donc regretter une sélection discographique trop « best of » et de n’avoir visualisé à aucun moment l’imaginaire qu’évoque le jeu sensuel de la country et du gospel de Ray Charles. Musique et cinéma auraient pu se rencontrer sur la production d’images qu’ils sont capables de produire l’un comme l’autre, deux imaginaires qui peuvent fusionner par exemple dans une représentation métaphorique comme l’ont démontré les frères Coen dans O Brother.
Si le pari biographique est tenu, on peut être gêné malgré tout par le choix du genre. Représenter l’intégralité de la vie d’un homme en deux heures trente nécessite résumés et ellipses. Le spectateur est laissé à la frustration de n’avoir pas été invité dans la subjectivité du personnage, laquelle ne fait aucun doute quant à son originalité lorsqu’on écoute la musique de R. Charles. Bien sûr Jamie Foxx incarne avec brio le jazzman (il vient d’obtenir l’Oscar du meilleur acteur) sachant reproduire dans ses moindres mouvements la morphologie d’un homme aveugle, mais l’interprétation du comédien ne peut compenser la vision par trop américaine de la complexité d’une vie humaine. On voudrait au moins plaindre, aimer ou haïr l’homme, mais l’on reste toujours à distance, peut-être comme l’est le réalisateur de son modèle.