Mariages homosexuels et égéries almodovariennes, voilà de quoi faire monter la sauce. Mais las, entre la platitude de propos et le ratage de construction, ce n’est pas une pièce montée qui est servie à la noce, mais du flan.
Trois jeunes couples gays vont célébrer leur union à la télévision. Les mères, bon gré mal gré, s’apprêtent à assister à la cérémonie. Il y a Nuria (Veronica Forqué), la quarantenaire franchement nymphomane, Magda (Carmen Maura), la working-girl accaparée par ses affaires, Reyes (Marisa Paredes), la légende des écrans sur le retour, Ofelia (Betiana Blum), la mère poule envahissante, et Helena (Mercedes Sampietro), la froide magistrate intransigeante. Autour d’elles gravitent un jardinier viril, un mari volage et un chien fou-fou. Dans cette excitation prénuptiale, tout ce petit monde se fréquente dans un chassé-croisé madrilène.
La grande qualité du cinéma espagnol est sans conteste sa tendance à l’iconoclaste. Perte totale de repères chez les surréalistes Dalí et Buñuel, libération sexuelle et vent de délivrance pendant la movida post-franquiste… Toujours la délectation naît de la déviance vers les marges, le sombre grinçant, le revendicatif gonflé. Pedro Almodóvar et Álex de la Iglesia en sont bien sûr de parfaites illustrations. De même Manuel Gómez Pereira avec Entre les jambes en 1999 n’avait rien à envier aux pages les plus glauques de Freud.
Dans Reinas, bien avant l’arrivée de Zapatero au pouvoir, la cérémonie de Bègles ou même le mariage d’Elton John, le réalisateur met en scène des unions entre hommes. Et pour soutenir son propos, il bénéficie de comédiennes mythiques, entre autres Marisa Paredes et Carmen Maura, véritables VRP de cet esprit hispanique si rafraîchissant. Le générique du film ne fait qu’exacerber l’excitation : parodie de série télé stylée, on croirait Ma sorcière bien-aimée à la Love Parade.
Mais trop vite le léger devient vacuité. À force de rebondissements et de multiplication de personnages, le spectateur ne tient plus à l’intrigue, et les sauts temporels (flash-back et flash-forward) jouent comme des cache-misère : ils essaient de donner une contenance à ce qui n’est qu’une suite de saynètes sans rythme. Même la tentative de « fil rouge » via les tribulations du chien, recours digne d’un téléfilm estampillé ZDF, est un échec. Sans propos transcendant, c’est un travers fatal pour une comédie : on s’ennuie.
Mais le pire est à venir dans l’accumulation de clichés. Si la confusion homosexuel/travesti est évitée, les mères, elles, n’échappent pas à la caricature. Mauvaise direction d’acteurs ? Toujours est-il que la nymphomane n’est que vulgaire et que le jeu outré de la mère poule court sur les nerfs. Plus grave, la « morale de l’histoire » : suite à une grève du personnel, l’hôtel de Magda est au bord de la faillite et menace la cérémonie des garçons. Qu’à cela ne tienne, revenons au « rôle premier de mère, c’est-à-dire nourrir nos enfants ». Image affligeante de dizaines de femmes en tabliers fleuris à la cuisine, qui s’épanouissent à sortir les volailles du four.
Ainsi malgré quelques sympathiques références méta-discursives et la bonne prestation des acteurs masculins (en particulier Lluís Homar et Daniel Hendler), le « Grand Jour » de Manuel Gómez Pereira est raté. De fadeur en aigreur, la fête est gâchée, pensons à divorcer.