À propos de Des hommes de Lucas Belvaux, nous avions formulé une hypothèse que la sortie en salles de Robuste permet d’une certaine manière d’approfondir : devenu un corps monstrueux, uniquement capable de jouer de son aura mystérieuse, et limité dans son travail d’acteur par l’utilisation d’une oreillette lui soufflant des répliques auxquelles il ne « pense pas », Gérard Depardieu interprète désormais moins des rôles de composition qu’il ne déploie uniquement une palette de variations sur sa propre persona. Voilà la seule idée que le premier film de Constance Meyer a le mérite de pousser à son terme : en faisant la rencontre d’Aïssa, sa jeune garde du corps, c’est sa propre « sale gueule » que Depardieu apprend à regarder, piégé à l’intérieur d’un dispositif spéculaire assez empesé. Face à la carrure imposante de Déborah Lukumuena, les dimensions hors-normes de l’acteur se reflètent dans un jeu de miroir inversé des plus sommaires : lui, blanc bourgeois isolé dans sa veste demeure ; elle, jeune femme issue de l’immigration habitant au dernier étage d’une tour HLM.
Le récit se concentre dès lors sur l’amitié naissante entre ces deux solitudes, dont la « beauté difforme » est portée en triomphe lors d’un décrochage métaphorique où les deux personnages, derrière la vitre d’un aquarium en forme d’écran de cinéma, se comparent à des « poissons des abysses ». Ménageant le chaud et le froid entre une bizarrerie de surface (cf. la première scène où Georges, sur son scooter, scrute longuement les étoiles) et une veine satirique que le cabotinage de Depardieu rend (parfois) amusante, le film rate au passage son récit d’émancipation féminine. Preuve en est la toute dernière scène. Avant que Gérard, le verbe grave, ne répète une réplique dont l’importance est soulignée par un long regard-caméra (« je suis… comme un enfant »), la cinéaste filme Aïssa dans les douches de son club de sport, dévêtue et le sourire aux lèvres ; l’histrionisme de Depardieu, occupé à égrener les références à ses propres frasques médiatiques (ici une phrase contre les avions Air France, là une autre insultant les végétariens antispécistes), finit par masquer la trajectoire d’une fille sortie de l’adolescence qui apprend peu à peu à aimer son corps – une histoire que Robuste n’aura jamais pris le temps de raconter tout à fait.