Un mérite revient à Rock the Casbah : celui de désigner bien malgré lui la rouille qui enveloppe désormais la grammaire du film de guerre, dès lors que ce dernier s’entiche de son encombrant grand frère américain des années 1970. Pris par une tentation proche de la recette de cuisine, de l’œuvre en kit, facilement exécutée, Yariv Horowitz ne rêve que d’une chose : braquer le genre sans bavure, jeter dans un sac une escouade de jeunes conscrits, quelques joints, une bande son rock américain post-hippie, un mouvement d’attraction-répulsion vis à vis de la violence, mélanger le tout, et le tour est joué ; vous avez un Full Metal Jacket-like, un ersatz recevable de ces fresques martiales que Rock the Casbah semble mythifier scène après scène. Cependant le genre se trouve en proie à une véritable faillite : sa dimension élégiaque s’est déconnectée du réel, et se voit maintenant dévouée à la reproduction d’un clinquant imaginaire de la guerre. Par-dessus le marché, c’est une représentation datée qui a perdu tout son sel, et qui, de violemment iconoclaste, est devenue morne et timide.
War, drugs & rock’n’roll
Voilà pour le genre. Peut-on dire que cette sorte de facticité de la forme se contamine à l’ensemble du film ? Pas vraiment. Il faut reconnaître à Yariv Horowitz, en dépit de son obédience à une imagerie dépassée, un courageux refus du « groupe » informel et désincarné, de la représentation du conflit comme un phénomène par défaut, un lieu, qui précède et dépasse les personnages. Non : la guerre est construite, balle après balle, mort après mort, fabriquée au jour le jour par ces post-adolescents, à la fois horrifiés et conscients. Là où la facilité aurait consisté à prendre l’engagement militaire sous l’angle de l’innocence pervertie (ce qui est tout de même un peu le cas), ici est fait le choix, autrement plus complexe, de présenter les conscrits israéliens dans toute la résignation socio-culturelle qui les engage dans une guerre commencée bien avant leur naissance, dont ils perçoivent la terrifiante absurdité, en même temps qu’elle est devenue pour eux la norme, et la condition même de leur propre normalité. La première séquence, où une simple mission de routine destinée à aguerrir un groupe d’inexpérimentés se mue en une rixe incontrôlable, aboutissant à la mort absurde d’un soldat écrasé par un lave-linge, donne un ton que nous voudrions voir le film tenir : la guerre, dans sa réalisation quotidienne, c’est une bagarre qui dégénère et rien d’autre. Elle n’abolit pas les autres échelles d’autorité : les femmes et les hommes, les aînés – plusieurs scènes étonnantes montrent des soldats fragilisés par des Palestiniens non armés, de l’âge de leurs parents, qui les réprimandent avec aplomb.
Il faut donc dépasser le canevas du film, qui séduira les uns dans ce qui n’est rien d’autre qu’un fétichisme vintage, repoussera les autres craignant d’y voir l’empreinte d’une artificialité générale ; pourtant se cache une œuvre qui aurait gagné à faire preuve d’humilité, et parvient, dans quelques moments d’une intense réalité, à une dénonciation qui va bien au-delà de l’enfoncement de portes ouvertes.