Gaël Métroz obtient en 2009 le prix du meilleur documentaire au Festival de San Francisco avec Nomad’s Land – Sur les traces de Nicolas Bouvier. En 2010, il arpente les contreforts indiens de l’Himalaya et rencontre Suraj Baba, un ermite traversant une période de doute. Il passera finalement un an et demi avec lui, le temps de parcourir quelques centaines de kilomètres à pied et de réaliser Sâdhu. L’objet est forcément intéressant, le projet sympathique, et même excitant. Malheureusement, question cinéma, ça ne tient tout de même pas trop la route.
La première séquence n’est pas pour rassurer : un homme en position du lotus sur fond minéral. Zoom arrière : il est seul au milieu de cascades, méditant dans une nature grandiose. Puis : il a de l’eau au creux des deux mains – gros plans sur les gouttes qui se forment en dessous. Plus loin : plans rapprochés, à ras du sol ; on suit sa marche. C’est lourd, et c’est étonnant que Gaël Métroz ne sente pas à quel point ces images sont usées.
Puis ça change assez brusquement, réalité documentaire. La grotte n’est pas si charmante, l’ermite fait un peu clodo. C’est le réel et c’est plus intéressant. Mais formellement, là aussi, ça fatigue vite : le réalisateur semble se donner pour règle de s’approcher au plus près du visage du Sâdhu et on passe plusieurs minutes du film coincés dans les poils de sa barbe – preuve du réel ou signe d’une vocation ? On comprend que le réalisateur ait été passionné et peut-être fasciné par sa rencontre. Il n’aurait pas dû en déduire pour autant que le visage de son ami était en lui-même une valeur ou un argument.
Il y aurait deux cent cinquante heures de rushes. Si les conditions de tournage, sans équipe étaient forcément difficile, Gaël Métroz n’était pas non plus constamment dans l’urgence. On s’étonne qu’avec une telle quantité de matériau il n’y ait pas eu moyen de construire des séquences plus abouties. Quelque chose déjà manque dans le regard, qui empêche de donner consistance aux rencontres de passage, de les faire exister comme personnages. Mais à l’évidence, c’est surtout la sélection du matériau et son montage qui pèchent. La fin du film est en particulier étrangement répétitive, multipliant les fragments de soirée où Suraj Baba grattouille et chantonne quelques airs, ou ricane un peu bêtement. Il y avait forcément mieux ! Et l’omniprésence de la musique constitue une maladresse de plus.
On trouvera quelques satisfactions en cherchant dans les contenus ce qui résiste aux défauts de la forme et à l’imprécision du regard. Le passage à la Khumba Mela, immense foire spirituelle s’étendant sur les bords du Gange, réserve ainsi des aperçus sociologiques et culturels tout à fait frappants. S’y côtoient touristes, mystiques, gourous, charlatans, disciples fanatisés, éclopés, et tout un peuple de croyants. Mais le plus intéressant dans tout cela est le malaise de Suraj Baba qui se perd et dans cette foire et dans sa vie d’ermite. Sâdhu n’offre pas un portrait édifiant ou hagiographique, mais celui d’un homme en crise existentielle. Et cela ne s’arrange au cours des mois puisque le désarroi de Suraj Baba se manifeste de plus en plus. Tout cela a le mérite de surprendre. On est loin du pèlerinage et de l’élévation spirituelle vendus sur le papier. Mais la surprise est à double tranchant.
Cette mécanique déceptive n’est en effet pas loin d’installer Sâdhu dans la contradiction. D’une certaine manière, le contrat avec le public est rompu : qu’a encore à nous dire cet homme pour lequel on en vient finalement à avoir plus de peine que d’admiration ? Et quelle leçon Gaël Métroz, qui paraît continuer à filmer – et monter – comme si de rien n’était, veut-il que nous en tirions ? A‑t-il mesuré combien les dernières minutes du film contredisent l’intention affichée, et rendent plus déplacée encore la lourde séquence d’ouverture ? Le problème n’est pas dans la déception que l’on pourrait avoir devant le « sâdhu » ; c’est ainsi et le documentaire n’a pas à le travestir. Il est dans l’inadéquation entre un contenu spirituel finalement bien pauvre et une mise en scène qui jusqu’au bout se laisse aller aux clichés et à l’iconographie du sage en majesté.