C’est pas le blues qui manque au cinéma. D’Emma Bovary à Scarlett Johansson dans Lost in Translation, l’ennui et l’errance sont des thèmes phare des arts et en particulier du cinéma. Le réalisateur brésilien, Francisco Garcia, auteur de trois courts métrages, invite le spectateur, pour son premier long métrage, à passer un moment mélancolique à São Paulo avec trois jeunes. Luca est tatoueur et vit chez sa grand-mère. Luiz travaille dans une pharmacie et deale pour arrondir ses fins de mois pendant que Luara, sa copine, tient un magasin de poissons exotiques. Ils se retrouvent régulièrement pour échapper à l’ennui en attendant des jours meilleurs.
Musardise
Désillusion et déception sont au rendez-vous pour ces trois personnages qui peinent à joindre les deux bouts. Ce trio, souvent usité, du couple et du meilleur ami traverse une période difficile. À se renvoyer la balle sur les défauts des uns et des autres, ils ne se rendent plus compte de leurs propres travers qu’ils cultivent progressivement. Luara rêve d’escapades exotiques et d’argent, aime Luiz mais s’exaspère du moindre faux pas qu’il commet tandis que celui-ci est incapable de garder un travail stable, préférant l’argent facile mais dangereux. Luca, au four et au moulin entre ses deux amis, profite autant de sa grand-mère qu’il ne s’en occupe. Une douce et amère mélancolie émane de ces relations amicales et amoureuses fluctuantes, éprouvées par l’austérité de leur quotidien et l’avenir incertain qui les attend. Que reste-t-il à faire lorsque la tirelire est vide et que l’indifférence s’installe ? Partir à la recherche de plaisirs momentanés (on ne compte plus le nombre de plans montrant les personnages avec une clope, un joint ou une bouteille au bec). Ou regarder la pluie qui tombe en trombe et les avions qui s’envolent pour de lointaines contrées, après une journée de labeur monotone. Platitude renforcée par un noir et blanc terne et grisonnant, des plans fixes à foison et des regards dans le vide mais parfois rehaussée par une musique rock/punk un peu envahissante ou un triste trio à cordes, chambre d’écho de leur mal-être latent.
Garcia a pris le parti de ne pas les inscrire dans les rues de São Paulo, qui prend des allures de ville fantôme, mais au contraire de les filmer dans des intérieurs clos et habituels où l’on ne cesse de tourner en rond (comme les poissons de la boutique de Luara ou la tortue de Luca), emporté dans la spirale du quotidien de ces personnages attachants mais indolents. Ce faisant, il va à contre-courant de l’image festive du Brésil ainsi que des discours officiels que l’on martèle aujourd’hui sur la reprise de croissance de ce pays, comme celui de l’ancien président Lula qui envahit l’écran de télévision toujours allumé de la grand-mère de Luca. Cible permanente, la jeunesse se retrouve de nouveau flouée ainsi que le montre ce plan fixe de nos trois acolytes, littéralement au pied d’un mur, s’enfilant des Big Mac dans la chaleur suffocante de la ville tandis que les avions de l’aéroport voisin de l’appartement de Luara décollent avec à leur bord les chanceux vacanciers.
Stranger than Paradise
Une affiche du film de Jim Jarmusch, Stranger than Paradise, occupe un mur de la remise de Luca le tatoueur, auquel Sao Paulo Blues est clairement un hommage. Chez Jarmusch, un trio semblable, composé de deux amis et de la cousine hongroise de l’un d’eux qui débarque de Budapest pensant vivre le rêve américain et échouant dans un fast-food de la ville industrielle de Cleveland, erre dans différentes villes américaines. Appartements sordides et motels sont leur lieu de prédilection. Son noir et blanc, ses fondus au noir réguliers découpant le film en saynètes pince sans-rire et ses plans fixes se retrouvent dans le film de Garcia qui le dédicace ouvertement à l’une des figures de proue du cinéma indépendant américain.
Un portrait morose, sensible et un peu beckettien d’une jeunesse usée et fatiguée, agacée des égarements de son pays. Écho d’une génération désillusionnée à travers le monde, Sao Paulo Blues compte parmi les rares films brésiliens importés en France, symbole d’une industrie cinématographique nationale fragile mais émergente.