Scandaleusement célèbre n’est pas un remake de Truman Capote. Sorti un an après pour éviter une trop grande concurrence, le film de Douglas McGrath était en projet au même moment que celui de Bennett Miller et les deux films ont été tournés à quelques mois d’intervalle. La coïncidence est d’autant plus frappante que Douglas McGrath comme Dan Futterman (le scénariste de Truman Capote) ont été inspirés par le même moment de la vie de Capote et qu’ils l’ont traité de façon similaire. Aborder Scandaleusement célèbre par le prisme de la comparaison n’aurait donc pas de sens et le refoulement temporaire apparaît la manière la plus juste d’aborder cette nouvelle adaptation de la vie de Capote.
Truman Capote, écrivain, journaliste et intellectuel mondain, ami corrosif de la haute société new-yorkaise, part en 1959 à la recherche d’un sujet pour son prochain roman. Intrigué par un fait divers particulièrement sordide, il se rend au Kansas enquêter sur l’assassinat qui vient de se produire et débarque, homosexualité et excentricité affichées, dans la petite ville de campagne encore sous le choc. De cette enquête où il approchera les tueurs (Dick Hickock et surtout Perry Smith), Capote tirera De sang-froid, un roman de « non-fiction » qui fera sa gloire, sa fortune mais dont il ne se remettra jamais complètement.
Confier à un quasi-inconnu le rôle d’un personnage célèbre et médiatisé comme l’était Capote était une gageure ; surtout dans un film ou tous les second rôles sont tenus par des acteurs reconnus (Sandra Bullock, Peter Bogdanovich, Gwyneth Paltrow, Sigourney Weaver…). Si le relatif anonymat de Toby Jones et sa grande ressemblance physique avec Capote participent sans nul doute à la crédibilité de son interprétation, son véritable talent a été de savoir se réapproprier la diction et la gestuelle maniérée de Capote sans la pousser dans la caricature. Et, paradoxalement, Toby Jones y arrive par la théâtralisation de son personnage. Le ton qu’il choisit s’inscrit parfaitement dans l’écriture du personnage, presque entièrement mis en scène dans des espaces public où il aime se donner en représentation.
Le film s’inscrit dans plusieurs registres qu’il traverse à mesure que la narration progresse. Il débute comme une comédie, par un portrait coloré et guilleret de la haute société New-yorkaise dans ce qu’elle a de plus caricatural et progresse vers le drame quand Truman débarque au Kansas puis la tragédie. Le ton change, les costumes (surtout ceux de Truman) s’assagissent ; les couleurs disparaissent, la musique et la lumière se dramatisent, parfois jusqu’à l’excès (la scène du meurtre dans la cave). Toutes ces parties sont liées par le même élément : le personnage de Capote et sa transformation que produit ses rencontres avec Perry Smith.
Les scènes de confrontations entre Capote et Smith (Daniel Craig) décrivent bien l’ambiguïté de l’attitude de Capote, entre fascination sincère et manipulation calculée ; mais perdent de leur force dès lors que leur relation dévie dans l’ambiguïté sexuelle et le pathétique (la chanson à la guitare et les lettres d’amour). Ce penchant au dramatique et à l’explicatif amoindrit le personnage de Perry Smith ; réduit à la dimension d’incompris romantique à l’enfance douloureuse, sans que les pulsions qui l’animent ne puissent trouver une véritable profondeur en écho à l’humanité qui le caractérise malgré tout et fascine le romancier.
Finalement, Toby Jones réussit à proposer une représentation de Capote suffisamment réussie et convaincante pour ne pas souffrir de ses conditions de production. Mais le film reste divisé entre recherche dramatisation et souci d’authenticité (illustré par de dispensables scènes d’interviews des personnages sur fond de The Tonight Show) sans produire de sens sur le genre littéraire que Capote est censé être en train de créer : le roman de « non-fiction », caractérisé précisément par la même dualité. Scandaleusement célèbre reste prisonnier de la célébrité de son sujet sans réussir à s’en détacher, pour en proposer une vision plus ontologique que réaliste.