Il y a maintenant dix ans, quatre femmes envahissaient le petit écran pour raconter leur existence de New-Yorkaises trentenaires, riches, belles mais célibataires, et entreprenaient la conquête d’un public fasciné par la crudité de leurs propos sur leurs nombreuses aventures sexuelles. Charlotte la bourgeoise coincée, Samantha la nymphomane, Carrie la romantique indécise et Miranda l’avocate indépendante parlaient aux femmes de leur âge, qui ne rêvaient pas forcément de pouvoir courir en Manolo Blahnik sur le macadam, de boire des Cosmopolitan dans les bars branchés ou de s’habiller en Prada pour aller faire le marché, mais trouvaient dans cette série ingénieuse et drôle des réponses à leurs angoisses de célibattantes. Sex and the City, au même titre que son contemporain Friends, a lancé la mode des séries télévisées de haut vol, qui font aujourd’hui la joie d’un public plus large que les Beverly Hills et Melrose Place d’autrefois. Le passage au grand écran de Sex and the City, quatre ans après la fin de la sixième saison était attendu au tournant. Verdict suite au battage médiatique concomitant.
On en parlait depuis plus d’un an, avec rumeurs folles à l’appui : Kim Cattrall (alias Samantha Jones) aurait d’abord refusé de reprendre son rôle ; Cynthia Nixon (Miranda Hobbes) eut le malheur de révéler avant la sortie qu’un des personnages principaux mourrait dans le film (qu’on se rassure : elle mentait); Carrie Bradshaw allait enfin épouser son amoureux fuyant, le fameux Mr Big (dont on apprenait enfin le véritable nom). Bien avant qu’aucun critique ait pu voir le film, les reproches s’accumulaient, et la presse people se déchaînait contre les costumes improbables de Sarah Jessica Parker (effectivement assez navrants en général) et le catalogue de marques fashion auquel le film se réduisait, avec raison : il ne se passe pas une minute dans Sex and the City sans qu’une publicité malvenue apparaisse dans un plan (jusqu’à cette scène inutile de défilé de mode où Sarah Jessica Parker essaie l’une après l’autre les robes de mariée de grands couturiers, partenaires récompensés). Bandes annonces jetées sur le Web depuis des mois et placardage d’affiches dans toutes les stations de métro : Sex and the City était devenu le film le plus attendu de l’année, coupant l’herbe sous le pied d’Indiana Jones.
Il y avait évidemment de quoi être à la fois impatient et sceptique : Sex and the City avait révolutionné l’image de la femme à la télévision, à une époque où l’on n’osait pas encore parler de sexe avec autant de liberté, et surtout pas le montrer aussi crûment. Mais le passage du petit au grand écran ne risquait-il pas de ruiner le rythme emballant d’un épisode ordinaire ? Comme de nombreuses séries aujourd’hui, la réussite de Sex and the City fonctionnait à la fois sur le suspense d’une fin d’épisode toujours en demi-teinte (que va-t-il se passer la semaine prochaine?) et sur une harmonie thématique condensée en une vingtaine de minutes. Sex and the City, le film, dure plus de deux heures : le principe original est donc de facto perdu et mis au placard, permettant, il est vrai, à un public néophyte de pouvoir découvrir directement les quatre New-Yorkaises les plus célèbres de la télé au cinéma.
On ne saurait pourtant que conseiller à ces débutants de passer par la case DVD : même les fans inconditionnels seront déçus par cette adaptation évitable (qui devrait donner une leçon à tous les producteurs de série télé hésitant à reprendre leur concept sur grand écran). Non seulement le rythme soutenu caractéristique de Sex and the City a volé en éclats, donnant au film des longueurs parfois insupportables, mais l’esprit cynique a également sombré dans les affres du romantisme gnangnan des comédies hollywoodiennes récentes. En se concentrant sur les problèmes sentimentaux de Carrie Bradshaw (de l’avis de tous le personnage le moins intéressant de la série, mais Sarah Jessica Parker étant productrice du film, on ne s’attendait pas à moins), le film expédie l’avenir de Miranda (réduite à des caprices enfantins face à l’infidélité de son mari), de Samantha (la reine du sexe dont on attend avec espoir chacune des apparitions, tant elle avait contribué au succès de la série) et surtout de la troublante Charlotte, sans doute le personnage le plus ambigu, qui dorlote ses enfants hors champ et n’a apparemment plus grand-chose à dire.
Sex and the City parlait de la femme moderne, celle qui attend le prince charmant sans se morfondre dans son palais de cristal, libre de choisir qui elle désire dans l’instant du moment sans devoir faire face au mépris ou à l’incompréhension de la société. Le film, au contraire, s’acharne sur le conte de fées contrarié, la romance usée jusqu’à épuisement par Hollywood. La mise en scène plan-plan de Michael Patrick King passant moins bien sur grand que sur petit écran (les mises au point douteuses étant révélatrices du manque de sérieux de la réalisation), les deux heures et des poussières de film sont un calvaire, laissant le spectateur dans un état comateux, loin des sourires béats que provoquent d’ordinaire ce genre de film, quand il est bien ficelé. Malgré quelques petits éclairs de génie en forme de clins d’œil surappuyés, le happy-end final de Sex and the City s’écrase sur une douloureuse impression, celle d’avoir perdu à jamais des copines qui n’avaient pas encore osé vous faire défaut.