Japon, ère Edo. Les shoguns ont unifié et pacifié l’empire. Pour décider de qui, des deux fils du souverain subclaquant, succèdera à son père – et par la même occasion se débarrasser des dangereux shinobi, ninjas-sorciers terrés dans la montagne –, il est décidé d’un tournoi à mort entre deux clans se vouant une haine ancestrale. Sauf que… le bôgoss du clan 1 est amoureux de la jôlifille du clan 2. Et vice-versa. Échapperont-ils à leur destin ?
Il y avait quand même de quoi s’amuser, avec cette tripotée de personnages flanqués de pouvoirs magiques : la femme-venin, l’aveugle-voyant, le caméléon-masqué, l’immortel aux cheveux violets, la jeune fille aux papillons, l’androgyne aux cheveux-qui-tuent, la Bête sauvage… Il y avait aussi de quoi s’émouvoir pour leur avenir : que devient-on, en effet, lorsqu’on a été programmé pour tuer et que la paix a remplacé la guerre, lorsque notre existence même se fonde sur le don de tuer et que l’on n’a plus besoin de nous ? Il y avait enfin de quoi chialer carrément : cruel dilemme en effet que celui de nos deux jeunes héros, tous deux bombardés chef des guerriers de leurs clans respectifs et voués à s’entretuer pour l’honneur alors qu’ils s’aiment… Mais non. Shinobi s’en tient à l’illustration lisse.
Si seulement on avait affaire à une authentique aberration, à un produit B, voire Z, qui, comme un Versus (Ryuhei Kitamura, 2000), revendiquerait presque sa nullité pour mieux rebondir dans un grand et jubilatoire n’importe quoi… Mais non. Shinobi se veut peut-être le Tigre et dragon japonais. Malgré son matériau décoiffant, Shinobi se prend au sérieux. Malgré le kitsch et le gore que son univers porte en germes, Shinobi est léché et pudique. (Et donc / Et pourtant : rayez la mention inutile) très mauvais. Si seulement, alors, on avait aux manettes un véritable cinéaste, un simili-Tsui Hark capable d’insuffler une énergie dans tout ça. Mais non, trois fois non. Le film déroule son programme sans surprise. La réalisation réemploie sans inventivité le formalisme de rigueur, basé sur les postures. Les scènes de combat sont filmées sans génie : ni lisibilité, ni puissance cinétique. La niaiserie est généralisée. Un peu d’excès et d’assomption du ridicule, par exemple dans la scène de rencontre des tourtereaux au bord de la rivière, lui aurait donné une personnalité ; ralentis et lyrisme musical ne semblent ici que remplir un cahier des charges.
Le film adapte un roman publié en 1958 – 59 au Japon, très populaire semble-t-il : Kôga Ninpô Chô (Les Parchemins ninja du clan Kôga), écrit par Fûtarô Yamada, le façonneur du mythe moderne des ninjas. Plus précisément, Shinobi s’inspire de sa version manga parue en 2003-04 : Basilisk. Il est souvent vain de juger un film à l’aune de l’œuvre dont il est tiré, mais un petit regard sur ledit manga (dont le volume 1 a été offert dans un sac de luxe à tous les journalistes se présentant à la projection de presse… pour nous acheter ?) en dit assez long sur l’esprit du film – lequel, soit dit en passant, financé entre autres, de manière totalement inédite, par une collecte de fonds de particuliers, se destine à une carrière tout public internationale. Le manga, donc ? Il est évidemment bien plus débridé, sexuellement troublant et violemment anarchique que l’objet mignon qui sort en salles aujourd’hui.