La vie d’une bonne sœur en long, en large et en travers ? Sœur Sourire n’est pas le récit du quotidien d’une servante de Dieu comme les autres, mais la biographie d’une rebelle en mal d’amour. Le film, non exempt de lourdeurs, évite cependant l’aspect biopic – dont on avait un peu soupé ces derniers temps- pour se concentrer sur un aspect de cette sœur au sourire imposé : sa volonté d’aimer et la souffrance qui découle de son incapacité à éprouver ce sentiment.
« Dominique nique nique… » Cette petite ritournelle bien connue n’est pas une chanson paillarde mais une mélodie à la gloire de l’ordre des Dominicains qui, en son temps, dépassa pendant quelques mois les Beatles et Elvis Presley (deux millions d’albums vendus en 1963). Son auteur est précisément une nonne dominicaine, Sœur Luc-Gabrielle (Jeannine Deckers dans le civil), surnommée Sœur Sourire par la major du disque Philips qui l’a signée. Le film du Belge Stijn Coninx est émaillé de ce petit refrain sautillant, mais n’est pas uniquement le récit d’un succès fulgurant et imprévisible. Le réalisateur ne s’intéresse pas tant à la figure de Jeannine Deckers pour ce qu’elle a voulu changer de l’Église – même si cet aspect est évoqué, notamment avec la chanson pro-contraception « La Pilule d’or » – mais pour le caractère hors du commun de cette jeune femme.
Scénaristiquement, c’est la personnalité de rebelle de Jeannine Deckers qui nourrit le film le plus richement. Pas tant une rebelle politique, même si elle préfigure la révolution des mœurs de la fin des années soixante, qu’une rebelle par manque d’amour : entourée d’une mère froide et sévère, d’un père soumis, promise à un destin tout tracé par les paternels qui voudraient la voir se marier et reprendre la boulangerie familiale, emprisonnée dans un carcan de traditions quand elle n’aime rien tant que sa guitare et Elvis. Tour à tour étudiante se cherchant, entre musique et beaux-arts, nonne en réaction à l’ordre familial, star de la chanson, adulée puis déchue, Jeannine Deckers est ici dépeinte comme une avant-gardiste, victime impuissante, prisonnière de l’Église même quand elle la quitte, mais surtout prisonnière de son incapacité à aimer.
Difficile, en optant pour ce point de vue, d’éviter certains clichés : dans le discours, notamment face au prêtre qu’elle sonde avant de prendre l’habit, puis devant lequel elle feint de venir se confesser après l’avoir quitté, mais aussi dans l’image liée à la figure du rebelle (éclats de voix, caprices, solitude orgueilleuse sur le thème de l’artiste maudit…), auxquels Cécile de France prête le flanc sans coup férir. La comédienne possède certes une force expressive et physique plutôt sincère, mais aussi quelques tics agaçants, comme une moue doublée de sourcils froncés superflus et un ton de voix pas toujours très juste.
Sœur Sourire possède le mérite de revenir sur le destin d’une femme proprement exceptionnelle, symbole d’une liberté subie plus qu’assumée. Mais finalement, l’aspect le plus réussi du film est la relation entre Jeannine et Annie (excellente Sandrine Blancke) : non pas parce qu’elle met en scène un couple d’homosexuelles montrées du doigt dans des années 1960 frileuses, mais parce qu’elle est l’occasion d’une belle variation des sentiments de l’héroïne. À travers l’affection d’Annie, qu’elle ne peut – et ne veut – au départ, recevoir, Jeannine finit par atteindre ce qui lui a manqué toute sa vie : la plénitude d’un amour partagé.