L’aspect documentaire de cette fiction est incontournable. L’intention première du réalisateur iranien était de monter un documentaire sur l’étrange métier des laveurs de morts en Iran. Le documentaire inséré dans la fiction permet d’approcher la thématique de la mort en Iran avec pédagogie.
L’originalité de ce film est d’insérer l’image télévisuelle dans la représentation cinématographique pour intégrer les documentaires sur les laveurs de mort. Dans son poste de télévision, Esfandiar, patron du cimetière du village de Sedeh, est ainsi le spectateur de son métier. Mais c’est aussi à la télévision qu’il écoute les interviews de ses employés et comprend enfin la méchanceté dont il fait preuve envers eux au quotidien. Ainsi, dès l’entrée de la fable, mort, tyrannie et voyeurisme, moteurs de la narration, se répondent. Si Esfandiar est voyeur de la vie des autres (il monte souvent en haut d’une colline pour les observer avec des jumelles), il sera pris à son propre jeu lorsque le poste télévisé l’installera en spectateur de sa vie. Dès lors, le caractériel Esfandiar, après avoir imposé terreur et autorité, va se lancer dans une conquête du pardon auprès de ses employés. On remarque alors que les nombreuses scènes de bain symbolisent à l’image le lavement des péchés d’Esfandiar.
La formation scientifique de Mohsen Amiryoussefi lui permet, selon ses dires, d’avoir un esprit de synthèse vis-à-vis du cinéma. En effet, le film est sectionné en différents chapitres à l’aide d’intertitres. C’est aussi avec précision experte que le réalisateur manipule ellipse et narration simultanée. Faire regarder Esfandiar dans le poste de télévision la vie de ses employés sans qu’ils se sachent observés présente une idée cinématographique géniale. C’est une manière très originale qui permet d’obtenir une vision omnisciente tout au long du film. Dans cette technique filmique réside certainement l’allégorie de l’histoire. Si l’on ne peut être visionnaire de sa propre mort, on peut toutefois tenter d’affronter les différents avec ses semblables.
Le jeu avec l’image dans la fiction provient de la relation très personnelle que le cinéaste iranien a entretenue avec l’homme Esfandiari rencontré pendant le tournage de son précédent film Les Mains de marbre. Mohsen Amiryoussefi a voulu rendre à ce laveur de morts toute la présence du personnage qu’il incarne à l’écran comme à la ville. De leurs relations naît le naturel des dialogues : toutes les paroles d’Esfandiar ont été réécrites à partir de celles que l’homme a prononcées lors des répétitions pendant que Mohsen Amiryoussefi lui expliquait le scénario. L’histoire atteint son paroxysme lorsque Esfandiar se trouve en contact avec l’ange Azraël venu lui enlever sa vie. La superstition et la croyance véritables de l’homme permettent de hisser la scène à un degré d’humanité qu’un scénario déjà écrit n’aurait su rendre.
Filmer, monter un film, gérer une équipe, c’est donc aussi savoir aller à l’encontre des gens, les écouter et les comprendre. Ce film illustre l’idée partagée par beaucoup d’actants du cinéma : la représentation cinématographique reste étroitement liée à l’aspect humain du tournage. Mohsen Amiryoussefi a su changer ses projets pour suivre l’humanité que véhiculait Esfandiari. De cette rencontre naît un film d’une naturelle beauté aux allures de fable métaphysique. C’est une très belle leçon cinématographique au royaume des morts que le réalisateur iranien présente ici.