Si certaines images ont la magie d’un rêve éveillé, d’autres ont le goût d’un cauchemar sans fin au terme duquel l’éveil participe du chant divin. Sous couvert d’un scénario prétendument original, d’un rythme atmosphérique pouvant faire passer le cinéma de Straub et Huillet pour de frénétiques polars coréens, Soudain, le 22 mai est en réalité un puissant somnifère aux allures d’interminable publicité pour les pompes funèbres.
C’est l’histoire d’un film qui voudrait n’appartenir à aucun genre et qui effectivement ne ressemble à rien de cinématographiquement identifiable. Celle d’un ex-publicitaire wallon dont les images d’un premier opus, Ex Drummer (présenté en double programme), pouvaient augurer d’intrigantes tonalités. Or, de la saturation d’un film punk à cette plongée dans le royaume des morts, il y a un fossé mortuaire tenant lieu du calvaire. Un homme, Sam, se lève à l’aube en haut d’une tour de banlieue. L’image est léchée, la photographie dans les tons verdâtres, les mouvements à la Steadicam forcément fluides mais l’atmosphère, déjà lourdement empesée. Ce matin-là, dans sa promenade de vigile d’un centre commercial, il croisera des individus, en guidera d’autres, avant qu’une bombe n’explose et fasse tout voler en éclats sur fond de ralentis poseurs. Rescapé de l’attentat, l’homme va alors prendre ses jambes à son cou. Durant une heure interminable, il sera visité par les victimes de l’attentat et, fortement culpabilisé, mobilisera ses forces pour traquer le terroriste dans un monde parallèle et somnambulique.
Inutile de se méprendre, Soudain, le 22 mai est moins un survival fondé sur la dépense et la violence qu’une impénétrable odyssée du sur-place. L’attentat originel, pivot du film, n’est lui qu’un écran de fumée n’entraînant dans son sillage qu’une enfilade de scènes introspectives. Pire, le dispositif axé sur des échanges post-mortem sans intérêt aucun, semble concurrencer un non-sens beckettien. Alors, peut-être Koen Mortier a‑t-il déjà goûté aux territoires comateux, mais l’image qu’il en dévoile demeure une fatigante purge où l’on erre, se triture le cerveau et s’épanche sur son misérable sort. Quelles intentions peuvent alors bien conduire un réalisateur à se saisir d’une telle vacuité mise à part celle d’esthétiser son obédience sordide ? Quelle sorte d’esprit déviant peut imaginer une bande-son aussi ronflante que ces notes s’échappant du plus cliché et morbide des esprits adolescents ? Enfin, comment survivre à cet univers aussi glauque alors qu’en surface, il pourrait tout autant s’agir d’une réclame pour le dernier paradis azuréen ou d’un spot d’entreprise en faveur de la refonte de l’immobilier wallon.
Avouons-le, c’est bien ce précipité de questions qui nous assaillent au moment où notre esprit s’avère incapable de répondre par le sérieux au solennel d’une entreprise dont personne ne peut imaginer le délire fantastique. L’expérience de Soudain, le 22 mai pourrait se résumer à celle de s’allonger dans un cercueil alors que l’on se souvient s’être assis, une heure et demie plus tôt, face à un écran. Son mérite tient tout entier à la magie d’entrapercevoir, au bout du tunnel, la lumière du monde des vivants.