Aux États-Unis, Sound of Freedom a connu un succès inattendu : sorti le 4 juillet, jour de fête nationale, il est devenu au cours de l’été l’un des plus gros succès de ces dernières années pour un film indépendant. Le phénomène s’explique en partie par le soutien de médias conservateurs, de personnalités influentes (Donald Trump et Elon Musk), ainsi que de mouvements influents sur les réseaux sociaux, notamment la mouvance conspirationniste QAnon. S’il n’en fictionnalise pas directement les théories les plus folles, il reprend un argument chéri des affabulateurs : un trafic d’enfants proliférerait sans que l’État ne lève le petit doigt. La promotion autour du film, organisée par Angel Studios (une société distribuant des films à destination du public chrétien), a par ailleurs eu recours à un argument là encore raccord avec le vocable conspirationniste : l’existence du film défierait le pouvoir des « élites » – des majors américains qui auraient refusé de le financer aux instances étatiques fermant les yeux sur l’enfer de ces soi-disant réseaux criminels. Curieusement, Sound of Freedom semble toutefois moins s’inscrire contre le système hollywoodien qu’il n’entend capitaliser sur ses effets les plus éculés.
Le film met en scène la quête de Jim Ballard (Jim Caviazel), un agent du gouvernement missionné pour sauver des enfants d’un vaste trafic pédophile. Il apparaît vite qu’il s’agira moins de décrire un supposé système caché que d’en appuyer lourdement l’aspect spectaculaire. Le film, qui se dit tiré d’une histoire vraie, s’arrange à ce titre de la véracité de l’affaire, en multipliant par exemple le nombre d’enfants sauvés, en grossissant les opérations, etc. Dès le générique d’ouverture, le film semble vouloir aligner les images choc : alors que s’enchaînent des kidnappings enregistrés par vidéo surveillance, mais réhaussés de violons dramatisants, le film fait miroiter l’existence d’une société secrète qui pourrait enlever n’importe quel enfant à n’importe quel moment. Non seulement le film occulte volontairement les rouages et les structures du crime, mais il leur préfère des images floues et imprécises : Alejandro Monteverde s’en remet à un manichéisme de comptoir, où diverses figures du Mal (qu’elles soient hypocrites, perverses ou purement diaboliques) s’opposent aux forces du Bien esseulées, incarnées par le solitaire Jim Ballard. Son visage doux, son regard grave et sa diction solennelle en font l’avatar de l’homme de bonne volonté. Or de volonté il aura besoin, car cet inspecteur, dans un schéma hollywoodien usé jusqu’à la corde, se voit abandonné au cours de ses investigations par le gouvernement qui le soutenait (les opérations sont trop risquées, trop chères) ; il devra donc mener le combat à l’insu d’un État refusant de regarder la réalité en face (« It’s too ugly for polite conversation », dit-on), embourbé dans ses imbroglios bureaucratiques (« Bureaucracy is shit »). La forme du film est à l’avenant de ce programme balourd : les scènes sont tantôt baignées d’une lumière laiteuse, tantôt plongées dans l’ombre (cf. l’affrontement final, de nuit, entre le feu de camp et les bicoques misérables, baptisées « The deepest recesses of hell »). Mais l’ombre ne saurait triompher, car la lueur n’est jamais bien loin : des fenêtres percent toujours, dans les pièces sombres, les entrepôts ou les cachots, un halo de lumière illuminant le visage de Ballard.
Sound of Freedom n’est dès lors qu’un ersatz hypocrite et lourdingue de film hollywoodien teinté de folklore conservateur. Sa grande malhonnêteté réside davantage dans son marketing, qui voudrait tirer profit de la mouvance QAnon et de ses réseaux. À ce titre, la vocation de Sound of Freedom est peut-être en définitive moins conspirationniste que, purement et simplement, capitaliste.