Après une sortie cinéma avortée pour son premier film (Moon), Duncan Jones trouve enfin le chemin des salles obscures pour son deuxième long. Entre science-fiction et polar, terrorisme et histoire d’amour, Source Code invente une narration temporelle en « escargot » que Philip K. Dick n’aurait sans doute pas reniée. Plaisir scénaristique qui met en scène avec brio le concept du déjà-vu, le film pâtit toutefois d’une incapacité à clore son récit et d’un romantisme un peu niais.
Colter Stevens (Jake Gyllenhaal) somnole dans un train à destination de Chicago. Lorsqu’il se réveille, une belle brune (Michelle Monaghan) lui parle de sa vie privée. Problème : il ne la connaît pas. Tout comme il ne sait pas ce qu’il fait dans ce train. Alors qu’il cherche à éclairer cette situation, le train explose. Passé la surprise, le public se retrouve de nouveau dans le train, en présence de Colter émergeant de sa sieste, face à la même brune lui tenant le même discours. Ces huit minutes (puisque telle est la durée de la séquence bouclée) sont entrecoupées d’un récit tout autre. Colter, militaire dont les derniers souvenirs sont liés à l’attaque qu’a subie son équipe en Afghanistan, est coincé dans une capsule. Seule une femme, Goodwin (Vera Farmiga), par l’entremise d’un écran, lui donne quelques explications. Il a été choisi pour une mission de la plus haute importance : trouver le terroriste qui a fait sauter le train et s’apprête à déclencher une opération encore plus destructrice sur Chicago. Pour cela, l’armée a la possibilité de lui faire revivre les dernières minutes avant l’explosion, avec l’espoir que son enquête aboutisse.
Scénario ingénieux donc, pour Source Code, qui navigue entre deux temporalités narratives (une boucle récurrente et un présent relativement indéfini) parfaitement étanches et pourtant cohérentes. Le film ne s’essouffle pas de la répétition. Au contraire, le dispositif plonge le public dans le même état que le protagoniste, suspectant tour à tour tous les occupants du wagon, peinant à localiser la bombe. Le temps apparaît alors dans toute son insaisissabilité, une poignée de secondes devenant un enjeu crucial. On se prend à attendre le plan qui reboote la séquence (un oiseau survolant un fleuve) pour réactiver la chasse, collecter les éléments qui permettront de comprendre le passé, et non de le modifier. Car, là est l’un des éléments piliers de Source Code. À aucun moment, le héros Gyllenhaal ne peut sauver les occupants du train, déjà morts. Quantité négligeable aux vues de l’attentat majeur qui, lui, n’a pas encore eu lieu à Chicago. Cette vision de la technologie tout à la fois pointue et pourtant mortifère et incapable de penser hors de son propre concept (l’axiome selon lequel on ne peut changer le passé) donne une étrange tonalité au métrage. On ne remonte pas dans le temps, on l’observe seulement. Cette incapacité à l’action, à la modification du réel, est parfaitement métaphorisée par les scènes de Gyllenhaal, dans sa capsule bourrée de fils et d’écrans, homme seul, sans repère (situation qui rappelle l’isolement de Sam Rockwell dans Moon), désincarné, dont seul l’esprit peut encore voyager. Ces séquences sont elles-mêmes métaphoriques d’une autre réalité, encore plus inerte et décharnée. Ainsi, si la notion de temps joue les poupées gigognes, le récit lui-même emboîte différents niveaux de réalité. Le train? La capsule? Les bureaux de l’armée? Où se situe le cœur du réel, du présent?
Quant au personnage de Gyllenhaal, il cherche à accomplir sa mission (en bon petit soldat) tout en essayant de sauver coûte que coûte les innocents (la figure du héros) et contrevient de fait aux ordres de sa hiérarchie. Cet affrontement entre les consignes d’une autorité et la morale individuelle (un peu cliché mais qui aurait pu être recevable) perd de sa substance quand l’enjeu de l’insoumission se révèle être l’amour. Tombé amoureux entre deux explosions, le jeune homme n’a plus comme ambition que de sauver la jolie fille (et tant pis pour les autres voyageurs). Cette orientation scénaristique ramène le film sur le terrain sentimental alors que tout concourait jusque-là à triturer les notions de réel, de temps et même de mort, ce qui se fait rare à Hollywood.
Malgré une révélation quelque peu attendue mais réussie, Duncan Jones perd le fil et la cohérence de son projet, bricolant un « happy end » ensoleillé peu convaincant où il évacue les paradoxes temporels et autres uchronies en deux temps trois mouvements. Trop onirique face à la noirceur du final, trop aimable après le spectacle du cynisme auquel on a été convié, Source Code s’essouffle sur la dernière ligne droite, occultant presque, sous ses allures de blockbuster qui finit bien, la charge philosophique de son discours et sa désespérance métaphysique. Attention, j’ai dit presque…