Véra Belmont adore les livres d’histoire, surtout ceux avec de jolies images d’époque. Productrice reconnue et éclectique (L’Enfance nue, La Guerre du feu, La vie est belle de Benigni…), la poignée de films réalisés par elle témoignent d’une propension à se lover dans un passé emblématique (le communisme français des années 1950 pour Rouge baiser, le règne de Louis XIV pour Marquise…), décor idéal pour dérouler des formules filmiques toutes faites empaquetées dans le clinquant de la reconstitution historique. Devant cette filmographie où l’académisme et le calcul fédérateur priment sur la personnalité et la conscience du monde, on pouvait légitimement s’inquiéter de son intention d’évoquer rien moins que l’Occupation française des années 1940, voire l’Holocauste. Le biais choisi fait même peur : un récit aux faux airs de conte entre Perrault et Kipling, avec un brin de performance animalière de chez Jean-Jacques Annaud, le tout frappé du label vendeur « basé sur une histoire vraie ». Malheureusement, la réalisatrice, sûre du blanc-seing de la gravité du pan d’histoire dont elle a fait sa toile de fond, ne fait rien pour nous donner tort.
Il a bon dos, le devoir de mémoire
Soit donc Misha, petite fille juive qui, suite à l’arrestation de ses parents, fugue de chez la famille de « Français moyens » qui l’a recueillie et entame courageusement un long périple à pied pour retrouver papa et maman loin à l’est de l’Europe, ignorant que leur voyage à eux sera sans retour. Cheminant péniblement à travers bois, elle rencontrera, entre autres aventures, une louve avec qui elle nouera une affection particulière qui l’aidera à survivre dans la nature. Les premières séquences de cette édifiante histoire, consacrées à la vie semi-clandestine de Misha et sa famille, donnent un temps une certaine illusion de naturalisme sobre et maîtrisé, laissant la menace hors champ pour s’intéresser à l’intimité et aux timides espoirs d’une famille d’exclus. La présentation de la fillette, enfant remuante incarnée avec un certain naturel par la prometteuse Mathilde Goffart, n’est pas étrangère à cette impression. Mais la pudeur initiale de cet aperçu des années noires n’était qu’un refuge douillet. Les choses se gâtent sérieusement lorsqu’il faut affronter le sujet : les parents de la petite raflés, on assiste pendant un tiers de film à un afflux de personnages secondaires posés en bref portrait de la population française endurant le régime de Vichy. Soit des portraits d’un schématisme et d’une insipidité appelant moins aux témoignages de l’histoire qu’à l’imagerie télévisuelle, redessinant la démarcation caricaturale entre salauds et héros. Les uns : la famille d’accueil de Misha, branche bourgeoise des Thénardier, sauveurs par intérêt et collabos par prudence ; les autres : de bons vivants de la campagne résistant sous le manteau avec la gouaille de Guy Bedos. Tous sont incarnés avec l’accent et filmés avec le regard des téléfilms de France 3. La teneur du rapport de Véra Belmont avec ces pages délicates de l’histoire, on la mesure au temps et à l’application qu’elle consacre à étaler tel un devoir scolaire ces tristes schémas préconçus pour la vulgarisation au grand public, dépourvus de toute incarnation et dont le simplisme se subsiste à une réalité trop perturbante pour laisser le film faire les entrées qu’on lui destine.
Le passage des considérations socio-historiques au récit de voyage en forêt apparaît comme une délivrance pour la réalisatrice, qui, comme acquittée de son devoir, peut alors s’attaquer au moteur véritable de son projet, loin du réel et près du spectacle pour toute la famille, avec enfant-actrice seule en scène ou face à des loups dressés. Ironiquement, le dénuement des décors forestiers semble participer à la mise au jour de tous les dosages de Belmont pour ajouter à la séduction de son objet filmique : invocation de l’innocence enfantine face à l’horreur connue du spectateur — idée sûrement empruntée à Benigni ; appels grossiers aux apparats du conte (le Petit Chaperon rouge, forcément immanquable) ; musique d’Émilie Simon, tout à fait hors de propos mais qu’on a sans doute cru « tendance » pour une exhibition animalière après La Marche de l’empereur. Mais ces trouvailles de marketing ne donnent pas plus de consistance à un cinéma désespérément informe et sans âme que ne le faisait la piètre représentation de la France occupée avec Bedos et compagnie. C’est d’ailleurs vers celle-ci que le film, comme pris de remords, finit par se retourner. La conclusion tient sur un carton au ton compassé, procédé pour le coup d’une grande hypocrisie, tant il résume froidement tout ce que Belmont s’est bien gardée de se risquer à mettre en scène : la prise de conscience de l’impensable, auquel elle préfère résolument le confort du prêt-à-penser.