Amateurs de voile, ou professionnels, novices ou spécialistes, Tabarly n’est pour personne un nom inconnu. Pierre Marcel, avec l’accord de Jacqueline Tabarly, a ressorti les vieilles bobines pour donner un sens au passé, et (re)donner une voix à ceux déjà morts.
Il y a toujours quelque chose de touchant dans les images d’archives. Elles frappent par leur vérité. Elles gardent la trace des morts qu’elles font revivre, et deviennent ainsi un témoin du passé. Impossible d’oublier que ces images ont existé, que ces mots furent prononcés, que ces regards furent échangés. Et tant mieux si Tabarly fait partie de ces visages qui restent. Pierre Marcel évite la reconstitution filmique, opte pour le documentaire et laisse défiler des morceaux d’entretien avec le célèbre navigateur, des moments de solitude en mer, des victoires, des défaites. Comme un album de famille qui s’ouvrirait à l’écran, à la fois public et personnel. Manque le Tabarly, le vrai, celui qui tourne les pages et explique, traduit le fond de ses pensées, donne son opinion. Certains témoignages d’époque tentent de compenser cette absence difficile. Mais sans succès. Tabarly manque de personnalité, d’originalité dans la mise en scène. Bien que Pierre Marcel ait rassemblé des archives inédites, radiophoniques et audiovisuelles, Tabarly manque de commentaires récents, d’un regard extérieur, qui s’exprimerait après avoir vécu les événements, avec du recul. Quel regret de constater que le plus intime, l’amour, l’enfance, ne soit pas abordé de manière plus introspective. Les questions restent trop évasives. Trop éloignées d’une réalité qu’on tente de saisir, en vain. Comment aimer celui qui s’en va ? Comment vivre avec la passion d’un autre au milieu de soi ? Troquer son bateau pour une vie de famille : le choix fut-il sans souffrance ?
« En enlevant les années de guerre, on peut dire que pendant 32 ans j’ai fait de la voile. »
De Tabarly, rien de nouveau n’émerge. Du moins, rien ne surprend. Il refusait d’étudier, pensait devenir bûcheron pour y échapper. Mais son amour des bateaux l’a conduit à s’engager dans la marine nationale pour financer les réparations de son premier Pen Duick, souvenir paternel. Depuis, les petites têtes noires se multiplieront. Avec des idées toujours plus nouvelles pour améliorer chaque voilier. Ce qui fascine chez Tabarly, et que le documentaire développe, relève de son amour viscéral pour les bateaux, plus que la mer. Il les décrit ainsi : « Poétiques et beaux ». Alors toute sa vie, il cherche à les peaufiner, les dorloter, les rénover. Inlassable. Il dessine son bateau, l’invente, l’utilise comme un trophée, fier de sa beauté. Sa minutie fascine, devant ce travail titanesque qu’est de prendre soin d’un voilier, de huiler chaque boulon. Des heures de travail attendent Tabarly. Il ne rumine pas, s’enferme dans un dialogue silencieux avec son œuvre bâtie de ses propres mains. Des mains si fortes, forgées par ses années d’apprentissage d’une vie solitaire, d’une tentative d’apprivoiser les eaux marines, des mains si grandes qu’elles envelopperaient celles d’un enfant.
Tabarly séduit avec ce regard inquiet, ce fin sourire en coin, cette barbe de trois jours et ce corps d’athlète musclé par ses si nombreuses courses et traversées en solitaire. Timide, il reçoit du général de Gaulle la Légion d’honneur pour sa course transatlantique en solitaire en 1964. Devant nos yeux, Tabarly devient un enfant. Et puis, il y a cet humour chez lui, tendre et ravageur, un humour au charme fou par la modestie qu’il génère. Il parle peu. Aussi prolixe en français qu’en anglais : un accent à faire chavirer les cœurs. Aussi à l’aise que devant un micro ! Ses amis marins l’admirent, le respectent pour sa franchise, sa perfection au travail.
Enfin, sa moue boudeuse au surnom de Pépé, son désintérêt envers des journalistes aux questions nébuleuses, sa peur des enfants, et puis cette répartie inconsciente : « Combien de courses avez-vous faites cette année ? — Six, répond-il. — Et combien en avez-vous gagné ?» Avec un sourire inimitable, il répond : « Six. » Tabarly est bien de ceux avec qui il n’est pas dérangeant de prendre le large. Surtout quand Yann Tiersen s’ajoute au voyage. Il suffit juste d’éviter les prises de vue aériennes, car le mal de mer rôde.