Tahia Ya Didou (1971) est l’unique film du comédien Mohamed Zinet. Né d’une commande de la ville d’Alger, qui attendait qu’il soit un documentaire touristique, il ne fut pas du goût des autorités et il n’y eut aucune sortie en salles. Devenu malgré tout un film culte, Tahia Ya Didou est bien plus qu’un documentaire promotionnel. Hommage à la ville d’Alger, à ses habitants, il est doté d’un ton inclassable, cohabitation de comique burlesque et de tragiques réminiscences du passé douloureux du pays.
Du marché au port, des rues aux cafés, la caméra de Mohamed Zinet déambule dans la ville dont elle capte le pouls. Variant les angles, les échelles de plans et les mouvements d’appareil, c’est avec fluidité qu’elle observe les Algérois, sur le visage desquels elle prend souvent le temps de s’attarder. Certains apparaissent plusieurs fois et deviennent ainsi personnages (une ribambelle d’enfants poursuivis par un gendarme bienveillant, un Suisse insolite tout juste arrivé en avion, en short, et dépourvu de passeport, un pêcheur de crevettes…). Les portraits esquissés sont souvent drôles, les êtres captent l’intérêt, nous sommes bien immergés dans le mouvement de cette ville.
Fil conducteur de ce tableau d’Alger, les déambulations d’un couple de touristes français. Lui (Simon) a fait la guerre et méprise les Algériens (sur des images où ces derniers s’échinent sur des chantiers, le Français explique à sa femme qu’ils sont des fainéants, que tout ce qu’ils savent, ils le doivent aux Français). Elle, émerveillée, est le porte-parole de tous les clichés (elle écrit sur une carte postale combien les enfants sont mignons, la nourriture délicieuse…). Mais la magie du voyage est soudainement rompue, lorsque Simon reconnaît en un homme aveugle l’un de ceux qu’il a torturés pendant la guerre. Tahia Ya Didou date de 1971, et l’on sent des plaies encore ouvertes. Les gens semblent avoir besoin d’évoquer l’occupation et la guerre d’indépendance, ces souvenirs font encore partie de leur quotidien. Capture du temps présent reconvoquant le passé, Tahia Ya Didou est aussi empreint d’une dimension intemporelle, véhiculée par les apparitions récurrentes du poète illuminé Momo. Ses paroles, hymnes à Alger, ne sont pas sous titrées au moment même où il les prononce mais répétées juste après, en français. Nous avons ainsi le loisir de nous imprégner des sonorités de la langue arabe dont on ne comprend pas le sens.
Mêlant avec aisance l’approche documentaire et fictionnelle, la comédie et la tragédie, Mohamed Zinet a donné vie à un film atypique, très vivant, dans lequel on se délecte d’être immergé. Il est ainsi extrêmement regrettable que le négatif de cet opus ait été perdu.
Addendum du 30 avril 2018 :
Début 2016, plus de cinq ans après la rédaction de cet article, des bobines endommagées de Tahia Ya Didou ! ont été découvertes dans un dépôt de la Cinémathèque algérienne. Grâce à cette heureuse trouvaille et à la collaboration du laboratoire italien Laser Film, une version restaurée du film a pu être produite en 2017 et montrée dans quelques festivals.