Marie Jaoul de Poncheville a vécu et tourné au Tibet, au Népal, en Mongolie : en grande partie des documentaires, souvent militants (pour la cause tibétaine notamment). Avec Tengri, le bleu du ciel, elle déplace sa caméra au Kirghizistan, pour un film de fiction, une histoire d’amour chantant un hymne à la liberté, sur fond de visée documentaire. De beaux moments, mais trop de clichés. Le film se délite, entre épopée romantico-lyrique, pittoresque et saupoudrage économico-socio-politique.
La première séquence du film se passe à Calais, de nuit. Le cadre est serré, la caméra, instable, on distingue à peine les personnages. Un immigré est arrêté. Séquence suivante, changement de décor et de style : les montagnes kirghizes, le bleu infini du ciel, des plans d’ensemble majestueux et des panoramiques somptueux. Malgré les apparences de cette entrée en matière, Marie Jaoul de Poncheville n’oppose pas une Europe liberticide, sécuritaire, inhumaine et une Asie centrale faite de traditions, nomadisme, et steppes à perte de vue. Au contraire, un plan revient comme un leitmotiv dans le film : dans le bleu du ciel vole un oiseau de proie, symbole de toutes les menaces qui pèsent sur la société kirghize et poussent à la fuir. Mais malheureusement, le film ne parvient pas à trouver d’équilibre dramatique entre une histoire d’amour traitée avec lourdeur et un propos socio-politique saupoudré de-ci de-là, ni d’équilibre esthétique entre le désir manifeste d’enchanter le spectateur et celui de poser un regard documentaire, quasi ethnologique, sur la vie dans ces montagnes. On a vite le sentiment d’une succession de clichés.
La première partie du film se déroule dans un jailoo (un camp de yourtes) dans les montagnes du Kirghizistan, où vivent Amira et d’autres membres de sa tribu. La jeune femme est mariée à Shamshi, moudjahidin engagé en Afghanistan au service des talibans : il rentre rarement, la néglige, ou la maltraite. Amira trouve du réconfort dans sa propre joie de vivre, dans sa force, et dans le soutien des autres femmes, également victimes d’une société patriarcale en pleine mutation. Un beau jour arrive Temür, l’immigré de Calais renvoyé vite fait bien fait au pays. Un retour à la case départ qui le conduit à retourner au village de son père, ce jailoo où habite Amira. Un coup de foudre et toutes sortes de péripéties pathétiques plus tard, Amira et Temür fuient dans les steppes kirghizes pour retrouver la liberté et vivre leur amour, protégés de leurs poursuivants par le seul Tengri, le bleu du ciel, dieu des nomades.
Le film lasse par sa dimension mécanique. Mécanique de la narration, tout d’abord, dans l’alternance trop huilée entre scènes à forte charge émotive (grosso modo : violence des hommes, détresse des femmes, avec variations sur un même thème, et exceptions qui confirment la règle) et moments de légèreté et de rire (incombant en grande partie au jeune Taïb, petit comique attendrissant faisant du rap sur les chants traditionnels). Mécanique du regard, qui tend à transformer en carte postale des paysages trop ostensiblement montrés comme « sublimes », et en scènes pittoresques – option « guide touristique » – les us et coutumes de cette société nomade. Mécanique du propos « engagé » (la peinture économique, sociale et politique du pays), rattaché tant bien que mal à la trame romanesque. Sur ces montagnes kirghizes entre tradition et modernité, Marie Jaoul de Poncheville accumule pêle-mêle Tengri et Allah, le passé soviétique et l’Afghanistan, les chants traditionnels et le rap, l’économie pastorale et les prostituées, la France comme terre du romantisme, vue de loin (on dit « je t’aime » en français et on a la tour Eiffel en porte-clé), et vécue de près comme terre inhospitalière (Calais, le métro parisien où l’on chante en vain les chants du pays). Non pas que tout cela soit faux (clichés compris) mais la cinéaste saupoudre de manière artificielle les différents ingrédients qui font la réalité du Kirghizistan, sans lier le tout en un scénario cohérent : elle ne peut ainsi intéresser son spectateur autrement que par une forme de curiosité, et finit (très vite) par le lasser des heurs et malheurs incessants, si artificiellement dosés que toute authenticité finit par disparaître, de ses tourtereaux. On s’intéresse aux scènes de vie dans le jailoo, on se laisse captiver par la belle chevauchée dans les steppes au son d’une musique envoûtante, mais ces moments d’attention ont pour fond – au lieu de l’hymne à la liberté manifestement voulu par la cinéaste – un sentiment d’errements du film dans trop de directions non maîtrisées.