Dans un monastère en Roumanie, des religieuses prononcent leurs vœux et épousent le Christ. L’amour chaste est-il possible en religion ? Certainement pas pour Anca Hirte qui filme la jeune Teodora en plaquant une lecture charnelle de son quotidien.
Sous les cordes des cloches, dans les prairies et les cours neigeuses, les potagers, ou lorsqu’elles partent en balades, les religieuses s’en vont par petits groupes ou deux par deux. Teodora vit dans une communauté orthodoxe, au monastère de Văratec, en Roumanie. Elle prononcera bientôt ses vœux, c’est-à-dire qu’elle épousera le Christ, pour toujours, cela va sans dire. Le corps emmitouflé dans de longs tissus sobres, avec quelques voiles pour seul trousseau, Teodora deviendra une « petite mère » du monastère. Sujet et lieu passionnants, cinématographiques au possible dans cette Roumanie romantique, enneigée ou verdoyante, isolée du monde et qui semble régie par ses propres règles.
On comprendra vite que le but de la réalisatrice Anca Hirte n’est pas de faire découvrir le fonctionnement et la cartographie du monastère, et l’on ne saurait s’y repérer davantage à la fin du film qu’au début. Dès les premiers plans, on sent qu’elle vient avec une idée et un but précis, enregistrer ce parcours vers le mariage à un être sans corps. C’est que son mari à elle, décédé brutalement, est également un corps absent. D’où une fascination pour ces femmes qui souhaitent ou ont souhaité créer un tel cadre conjugal. Anca Hirte arrive donc au monastère avec une lecture concrète qu’elle est bien décidée à faire partager. Plans précis, coupes décidées, enchaînements habiles des séquences bucoliques, sensuelles, oppressives. Sur le corps de Teodora aux longs cheveux, sur le visage plus lisible que les formules ânonnées, se calque un portrait invisible de la réalisatrice : volontaire et symboliste.
Ce qui frappe immédiatement, c’est la lecture charnelle du quotidien de ces femmes, et du rapport à Jésus. Les choix de mise en scène y poussent plus que clairement. Lorsqu’il s’agit des textes récités ou chantés, des rituels, par les objets ou les gestes qui les entourent, admettons la qualification de lecture objective, si l’on met de côté le choix et l’enchaînement de ces séquences. Mais Anca Hirte ajoute des cadrages en gros plan et un montage plutôt rapide qui augmente la sensualité. Les cheveux frémissent sur la nuque ou sous le peigne, la caméra colle à la bouche fervente, aux expressions, attrape des bouts de peau entre deux mouvements de voiles. Tout au long du film, à mesure qu’approche la cérémonie, le corps et les paroles sont ainsi constamment orientés. Comme la durée réelle des jours est évacuée, qu’on les imagine plutôt lents, que chaque action de Teodora ou des autres religieuses n’est jamais montrée en entier, la volonté de la réalisatrice de coller un message sur le milieu qu’elle filme devient rapidement gênante. Et l’impression qu’elle refuse de se laisser imprégner de ce monde clos prend le pas sur l’idée que cette sensualité en fait partie. C’est notamment la bonne vieille problématique de la durée des plans qui revient : comme le résumait Depardon à l’époque d’Afriques : comment ça va avec la douleur ? (1996), seuls les (très) longs plans peuvent transmettre la vérité. La dialectique qui entoure Teodora pécheresse l’étouffe, empêche le spectateur d’être actif, sinon en résistant au message. D’autant que le film ne va pas au bout de son idée. On ne verra pas de crise, pas de concrétisation des doutes palpables de Teodora, encore moins d’éclatement. La seule violence qui conclut le film est celle de la belle scène de la cérémonie, encore qu’également rattachable à l’anticléricalisme de la réalisatrice. Les gestes y sont extrêmement codifiés, Teodora est soumise au rituel sous les gestes de ceux qui l’entourent, jusqu’à la coupe de ses cheveux, l’adieu au corps. Quitte à baigner dans le symbolisme, on aurait aimé avoir le contrepoint des petites mères, de celles qui ont vécu ce mariage, et de celles qui l’ont rompu. Parce que, à ce stade, les gestes inconscients ne tiennent plus seuls, et qu’une frontalité aurait pu rétablir un peu d’autonomie aux images. Dommage.