The Chronology of Water puise son inspiration du côté de la littérature : adapté des mémoires de Lidia Yuknavitch, le premier long-métrage de Kristen Stewart s’apparente à un poème où chaque image serait un vers, avec ce que cela implique de beauté, mais aussi d’opacité. Le film raconte une vie brisée par l’inceste et les refuges incertains que l’héroïne trouve pour survivre : la natation, les drogues, puis l’écriture. Le récit, porté par une voix off dont le propos est en dissonance avec ce que l’on voit à l’écran, traduit la volonté de Lidia (Imogen Poots) de se réapproprier son histoire et son corps après des années à subir la violence de son père. Dans cette perspective, Stewart donne une place clef au montage : sans transition, les images du présent et du futur se chevauchent. Il n’y a plus de flashback ou de projection dans le temps ; le film s’attache à figurer le détraquement provoqué par le traumatisme de l’inceste en entrelaçant plusieurs strates temporelles. Au-delà de sa structure en cinq chapitres, The Chronology of Water s’efforce dès lors de capter un flux de conscience.
Par exemple, au milieu d’une discussion avec son partenaire sur le fait d’avoir un enfant, des images de Lidia avec un bébé surgissent, d’abord de manière subliminale (au point où on se demande si on les a bien vues), avant de s’affirmer plus nettement. Les plans se présentent alors comme des pensées intrusives que la jeune femme tenterait de chasser de son esprit pour finalement en accepter la réalité. Cette stratégie, qui entreprend de restituer l’engrenage psychique dans lequel est pris le personnage, a l’intérêt – et le paradoxe, car elle implique une saturation de sens – de sortir du chaos : elle met l’expérience traumatique au centre de la forme et, par extension, nourrit le récit d’un personnage qui remet son monde à l’endroit. Reste que si cet entremêlement raconte quelque chose, il menace de transformer The Chronology of Water en catalogue d’effets (gros plans, zooms, coupes abruptes) où la quasi-totalité des plans se retrouve chargée de symboles faisant miroiter une infinité de possibles. On aurait par ailleurs aimé que les scènes soient assez longues pour laisser le personnage exister : ce sont celles qui installent des situations dans la durée, comme la discussion entre Lidia et sa sœur, ses retrouvailles avec son père ou sa nage avec son futur époux, qui témoignent le mieux du potentiel de Stewart comme cinéaste.