Entreprise sans doute sincère, The Edukators prouve malgré soi qu’un film à contenu politique ne donne pas forcément un film politique – soit une œuvre qui, outre une analyse un tant soit peu percutante, profonde ou complexe d’un état du monde, propose une forme ad hoc, exprimant pleinement un regard sur le monde et rendant tangible le geste politique. Peu subtil politiquement et maniant sans inventivité la DV à l’épaule, le jeune Autrichien Weingartner rate son coup sur tous les tableaux.
The Edukators pourrait au moins suivre des personnages vraiment enragés et faire de leur énergie la force de combustion nécessaire à dégager une puissance contestataire, ou au contraire mettre à distance leur conception de l’engagement pour la questionner un peu. Mais rien de tout ça. L’idée centrale du film (de jeunes révolutionnaires pacifiques s’introduisent en douce dans d’opulentes villas, y déplacent le mobilier avec fantaisie et laissent un petit mot, histoire de mettre un petit coup de stress et de mauvaise conscience dans la vie des possédants), plutôt amusante, est énoncée avec une certitude et un sérieux assez grotesques, relevés d’une prétention à « éduquer » tout bonnement détestable. Et ses protagonistes, des djeun’s bien cool parfois franchement agaçants, recyclent sur le ton de l’aphorisme bien senti les poncifs du discours anticapitaliste non-violent.
Prétendant pointer du doigt les scandales – réels – que le système libéral engendre (les enfants asiatiques gagnant un euro pour fabriquer des chaussures qui seront vendues cent fois plus cher) ou l’absurdité – plutôt inoffensive, quant à elle – du mode de vie des méchants riches (lesquels chipotent lorsque leur eau-de-vie n’est pas servie dans le verre adéquat), le film coupe les situations de leur large contexte et d’une compréhension profonde, évacuant ainsi systématiquement toute crédibilité à son propos. Il tente vainement, par la suite, de nuancer un peu les choses en confrontant les jeunes à l’imprévu (le propriétaire de la maison rentre chez lui, il faut le kidnapper pour ne pas qu’il parle), mais sombre dans le discours vide à force d’incohérence.
Lors d’une échappée à la montagne où les ravisseurs se mettent à sympathiser timidement avec leur victime, gros porc capitaliste a priori antipathique, le film, contre toute attente, rend ce dernier touchant, voire sympathique. Il tenait là une piste en or pour atteindre un peu de complexité. Mais ne se résolvant pas à ce que ses personnages mesurent réellement la portée de leurs actes, ne les laissant se remettre en cause qu’à travers quelques maigres débats d’idées, il reste dépourvu de véritables enjeux. Soudainement investi d’une étoffe tragique, le bourgeois explique comment, de jeune révolutionnaire communautaire, il est devenu homme d’affaires sans scrupule ; l’idée n’est pas neuve, mais subtilement et efficacement exprimée. Sentant le personnage lui échapper, le réalisateur devient cynique à son tour et, sous couvert de constat désabusé (attention, phrase qui tue : « certaines personnes ne changent jamais »), lui inflige un retournement final télescopé – voire arbitraire et malhonnête. Au passage, il s’offre un trick navrant destiné à flanquer une dernière petite fausse frayeur au spectateur avant le générique.
Peut-être, pour reprendre le titre d’un ouvrage de Stanley Cavell, les films rendent-ils meilleurs, mais lorsqu’ils s’assignent pour seul but de délivrer des « messages » (notion suspecte) pour changer la face immédiate du monde, ils sont loin de ce qu’ils sont en mesure d’offrir. Ils s’avèrent bien plus intéressants lorsqu’ils renoncent à servir de plateforme à des discours volontaristes et généralistes, soit pour se concentrer sur quelques points précis qu’ils s’attachent à explorer, interroger, envisager dans toute leur complexité, soit pour toucher à la complainte métaphysique. Le cri probablement sincère d’une jeunesse révoltée, déboussolée mais à la recherche d’une utopie reformulée (fini la génération désenchantée), se transforme ici en produit « contestataire mais sympa » filmé sans génie (la DV à l’épaule constituant d’ores et déjà une base solide aux nouveaux avatars naturalistes de l’académisme). Avec son propos simpliste et sa rebelle attitude calculée, The Edukators se mord la queue et s’avère assez inoffensif. Bourgeois, nantis, capitalistes de tout poil, vous pouvez dormir sans crainte.