La mise en scène de The Father s’organise autour d’une série de seuils (les fenêtres sur lesquelles s’ouvre et se referme le film, les portes qui découpent et recomposent le théâtre de l’action…), dont le franchissement correspond aux différentes phases d’une maladie jamais nommée mais dont on reconnaît aisément les traits : Alzheimer. Une pathologie qui engendre une lente séparation d’avec le monde et finalement d’avec soi-même, d’où le choix du huis-clos, propice aux films mentaux. The Father est l’adaptation par Florian Zeller d’une de ses pièces à succès, déclinée en plusieurs volets (le Père, la Mère, le Fils) ; on peut penser que ce premier long-métrage hérite largement de ce dispositif scénique, bien qu’il n’en reconduise pas la forme trinitaire. Son intérêt principal réside dans sa manière de ménager un double drame au sein d’un espace circonscrit, en brouillant les lignes entre le point de vue du père, Anthony (Hopkins), et celui de sa fille, Anna (Olivia Colman).
Lors de la première scène, celle-ci ouvre brutalement les rideaux de la pièce où son père, casque aux oreilles, écoute l’ « Air du froid » de Purcell, formalisant l’écran qui s’interpose peu à peu entre le vieil homme et son entourage. Anna s’efforce de briser la glace, mais un jeu appuyé sur la mise au point vient souligner, en multipliant les zones de flou, que l’espace où ils évoluent ne peut déjà plus être véritablement partagé. Peu à peu le quotidien d’Anthony se dérègle, bégaie, et chaque rencontre prend à ses yeux la forme d’une apparition, ce qui amène The Father sur le terrain du fantastique et du film de fantôme (le père est d’ailleurs hanté par l’image d’un personnage disparu). En retour, cette désorientation le rend imprévisible, voire monstrueux au regard de sa fille et du mari de celle-ci, qui ne supporte pas sa présence. À mesure que la fin approche, chaque seuil traversé annonce une disparition définitive, et Anthony se rattache à des gestes d’enfant, à des étreintes, pour finalement se fondre dans le monde et ne faire plus qu’un avec lui (le dernier plan du film – le balancement des feuilles d’un arbre derrière une vitre – fait écho à une image que le vieillard avait esquissée plus tôt : « je suis comme un arbre qui perd ses feuilles »).
Précisément, Zeller aime les « images ». Par exemple, tout au long du film, Anthony cherche sa montre, persuadé qu’on la lui a volée (comprendre : « perdre la mémoire, c’est se voir dérober le temps »). Un insert entre deux scènes nous montre un robinet qui goutte (flop flop, fait la mémoire qui flanche). Anna casse une tasse, et tente en vain de recoller les morceaux de porcelaine ; plus tard, elle passe devant une statue monumentale représentant un crâne brisé. Cette façon d’illustrer des formules naïves est d’autant plus malvenue qu’elle compromet l’effort du film pour faire saillir le caractère proprement horrifique de la maladie. The Father ne tranche pas entre un cinéma subjectif (son montage se conforme à une mémoire qui ne raccorde plus convenablement les « séquences » entre elles) et l’explicitation constante de son propos au moyen de lourds symboles. En privilégiant la démonstration à la suggestion, Zeller tente un coup de force émotionnel, au lieu d’entretenir le trouble que laissait espérer son approche fantastique d’une vieillesse qui s’abîme, qui encombre et qu’on voudrait oublier. Les rares zones d’ombre (comme cette séquence où Anthony est battu par ce qui pourrait être son gendre, et le pressentiment plus latent de l’abandon) ne relèvent guère un programme finalement trop lisse pour ne pas lasser.