On pourra certainement souligner les similitudes entre In the Mood for Love et The Lunchbox. De fait, les enjeux et la dynamique globale des deux films sont similaires. Cependant, nous sommes ici en présence d’une espèce rare : un film qui s’inspire d’un autre, mais ne le pille pas, qui trouve sa propre personnalité et son propre discours. Car, il faut bien le dire, le réalisateur Ritesh Batra n’a que faire de la préciosité ciselée de Wong Kar-Wai : au contraire, le Bombay de The Lunchbox pétille d’une vie foisonnante et irrépressible.
Déterminé à capturer le monde autour de ses deux protagonistes, Ritesh Batra prend son temps, observe et prend un plaisir manifeste à filmer un quotidien apparemment futile : une terrasse solitaire, une voisine du dessus invisible avec laquelle on communique en criant par la fenêtre, un voisin de bureau au regard lourd… Ses deux personnages sont enfermés dans ce quotidien, dans le rituel, et le réalisateur parvient à en saisir l’essence avec légèreté. Ce ronronnement agréable est aussi l’expression d’une prison : celle de la résignation face aux événements, qui entrave autant le mûr Saajan que la jeune Ila.
Le fameux échange de lunchbox entre le mari de cette dernière et Saajan devient une liaison épistolaire clandestine : l’occasion de laisser le champ libre à une double voix off – celle-ci serait-elle un moyen de saisir ce que la caméra ne saurait pas capturer ? Ritesh Batra voit plutôt ça comme une opportunité narrative à utiliser. Il parvient à faire résonner ce quotidien qu’il a si bien su saisir, et la teneur idéaliste, rêveuse, des lettres échangées.
Bientôt, on se rend compte que The Lunchbox a fait de nous, spectateur, le voyeur suprême : témoin de l’intimité d’êtres solitaires, lecteurs de leurs lettres par-dessus leur épaule, nous avons depuis longtemps abandonné toute distance, emportés par une peinture précise d’un quotidien qui nous est pourtant exotique. Plus qu’une fine comédie bien troussée et feel-good sur la misère sentimentale, The Lunchbox pointe avec pertinence la solitude absolue des humains. Et, avec la même délicatesse qui préside à son doux regard sociologique, il choisit d’y croire malgré tout – et nous avec lui. La pure magie du cinéma.