Documentaire clair et rigoureux, The Weather Underground retrace le parcours, de sa création à sa dissolution, du groupe éponyme, regroupant des étudiants d’extrême-gauche, réunis à l’origine pour dénoncer la guerre du Viêt-Nam menée par les États-Unis. Actifs entre 1965 et 1975, ces jeunes pacifistes dérivent rapidement vers l’action violente, en organisant plusieurs attentats contre diverses institutions américaines.
L’intérêt du présent documentaire est de montrer la multiplicité des attitudes et réactions des protagonistes en un constant va-et-vient entre images d’archives et interviews des activistes concernés. En effet, chaque ancien membre du groupe commente les faits relatés. Du regret et de la honte à la revendication pleine et entière de l’action révolutionnaire, les positions sont contrastées et témoignent de l’ambivalence, au sein même du groupe, des valeurs véhiculées par The Weather Underground. Si certains se sont complètement « rangés », d’autres poursuivent leur action militante, la juxtaposition de ces deux attitudes posant finalement la question des limites de l’utopie, victime de sa propre usure et des désillusions rencontrées.
Le documentaire relate la genèse du groupe en recherchant les raisons de sa radicalisation. Du pacifiste SDS, association d’étudiants pour la démocratie, les militants deviennent peu à peu, dans le contexte d’une convergence des mouvements révolutionnaires au niveau mondial, des activistes prônant la lutte armée et la violence comme moyen d’action. Les membres du groupe se font tout d’abord appeler « Weathermen », s’inspirant ainsi des paroles d’une chanson de Bob Dylan, « you don’t need a weatherman to know which way the wind blows » (on n’a pas besoin d’un météorologue pour savoir d’où vient le vent), ce qui signifiait qu’il était évident pour eux que le vent de la révolution soufflait sur les États-Unis. Voulant combattre la guerre du Viêt-Nam en la « rendant visible » sur le sol américain, The Weather Underground organise un certain nombre d’attentats, mais toujours en évitant toute victime. Alors que les membres sont prêts à mener des actions véritablement terroristes, le déclic qui les sauve de cette dérive extrémiste se révèle être la mort accidentelle de plusieurs membres du groupe lors de la confection d’une bombe. Comme le dit alors Bernardine Dorhn, la pasionaria du mouvement, « je brandissais ma haine comme un signe de supériorité morale ».
Par leur dénonciation du racisme, des inégalités, de la guerre et leur aspiration à la libération sexuelle, les jeunes activistes de ce groupe ont bien des aspects séduisants qui ont fait d’eux les chantres de la contre-culture américaine des années 1960 – 70. Pourtant, le documentaire ne tombe pas dans l’idéalisation ou la stylisation des protagonistes, car il garde toujours une distance critique sur les événements. Si les points de vue sont en effet divergents et éclairants, on aurait aimé toutefois que soient davantage interrogés des observateurs extérieurs (journalistes, intellectuels, responsables politiques…) sur les activités du groupe, de manière à en donner tous les éléments de compréhension possible.
En présentant les grands traits de l’action du groupe clandestin replacé dans le contexte particulier de la guerre froide, le documentaire se prévaut de tout schématisme tout en péchant par moment par des énumérations factuelles répétitives. Toutefois, comme le remarque le réalisateur Sam Green : « lorsqu’on fait référence à cette période, on parle aujourd’hui du Weather Underground comme d’une aberration, l’ultime spasme d’une violence vide de sens et qui marqua une période qui elle-même avait déraillé. Nous sommes infiniment persuadés que la véritable histoire du Weather Underground est complexe, moralement ambiguë et que dans notre approche nuancée de l’histoire résident des idées et des questions pertinentes pour mieux comprendre notre monde. »
Ce documentaire pose effectivement un certain nombre de questions importantes sur les moyens dont dispose notre société pour changer et résoudre les contradictions de son propre système. Reprenant la phrase de Martin Luther King qui souligne que « ce sont ceux qui s’opposent à la révolution pacifiste qui rendent la révolution violente inéluctable », The Weather Underground illustre ainsi l’ambivalence qu’engendre toute idéologie utopiste dont la manifestation s’incarne par une violence qui en dénature la portée et le sens.