Si Michael Moore et Django Edwards avaient eu des fils ensemble, ce serait les Yes Men. Revendicatif et décalé, ce nouveau documentaire altermondialiste est on ne peut plus réjouissant.
Fondateur de la Barbie Liberation Organization, Mike Bonnano intervertissait les voix des poupées Barbie et G.I. Joe avant de les remettre en rayon. Programmeur de jeux vidéo, Andy Bichlbaum introduisait des mâles en maillot de bain qui s’embrassent en plein champ de bataille… Rapprochez-les, ce sont les Yes Men. Activistes de haut vol, ces deux artistes s’ingénient à piéger à leur propre jeu les organisations toutes-puissantes de notre monde globalisé.
Entre 2000 et 2003, au cours de leurs pérégrinations, ils se font accompagner par la caméra de Chris Smith (réalisateur auparavant de American Movie entre autres). Le but, loin de faire interférer la caméra avec leurs actions, est simplement de rendre compte. Documentaire, The Yes Men en est un au sens où il rapporte des faits authentiques, par opposition à « fiction ». Mais au contraire des derniers opus de Michael Moore (dont on sent la filiation de manière éclatante), nous ne sommes pas en présence d’un cinéma discursif, démonstratif dans sa forme même (inserts de divers documents, interviews, voix-off, etc). Transparente et simple, la réalisation laisse tout le champ émotionnel libre pour les actions de ses héros.
Car ce qui captive, c’est avant tout la manière d’agir de ces deux militants anti-libéraux. Au commencement, un quiproquo : ils avaient parodié le site internet de l’Organisation Mondiale du Commerce grâce à un graphisme similaire et un nom de domaine très proche. Navigation hypertextuelle aidant, et malgré des propos volontairement outranciers, ils reçurent bientôt, en tant que représentants de l’OMC, des invitations pour de très sérieuses conférences… Concepteurs de la « correction d’identité », les Yes Men incarnent alors les représentants des multinationales ou des politiques pour les montrer sous leur véritable jour.
C’est ainsi qu’un certain Granwyth Hulatberi (alias Andy Bichlbaum), lors d’un débat sur CNBC, affirme que la démocratie serait plus saine si elle fonctionnait sur un modèle privé, et propose donc de mettre aux enchères les votes des citoyens. Un expert de la filière textile, Hank Hardy Unruh (devinez qui ?), suggère aux patrons de grandes entreprises de porter le costume du manager du futur : une combinaison dorée affublée d’un énorme phallus arborant un écran d’où ils pourraient surveiller leurs employés… Aussi incroyable que cela paraisse, personne ne remarque la farce. Et le spectateur jubile.
Venant tous deux du monde de l’art underground, les Yes Men transforment chacune de leurs interventions en happening. C’est sans doute ce qui leur confère toute leur efficacité. En fins observateurs de notre société, ils ont compris toute la force de la représentation. Comme le mode décisionnaire est déjà une sorte de théâtre, ils usent des mêmes artifices (costume cravate, attaché-case, PowerPoint…), et protégés par leur apparence conventionnelle, poussent la caricature à son paroxysme. En cela également The Yes Men diffère d’autres documentaires aux préoccupations parallèles, comme The Big One de Michael Moore, ou Super Size Me de Morgan Spurlock. Quand Moore part à l’attaque frontale en posant les questions qui fâchent au PDG de Nike, il reste au premier degré. Même chose pour Spurlock, qui prend volontairement au pied de la lettre la propagande diététique de McDonald’s. Les Yes Men, eux, sont dans la mimésis, introduisent une distance qui permet l’ironie et, partant, la connivence avec le spectateur.
Maîtrisant les enjeux de la communication et le pouvoir des médias, les Yes Men sont bien loin de l’image de l’altermondialiste des champs arrachant des pieds de maïs. Modernes, audacieux, doux-dingues, ils savent comment pervertir le système. Après la réélection affligeante de Bush, qu’il est rassurant que de telles voix contestataires se fassent entendre !