Ariane écrit des romans-photos plus inspirés par sa propre existence que par une inspiration divine. Léna, sa sœur, est moins fleur bleue mais tout aussi plongée dans une quête de l’amour absolu, celui qui s’épanouit justement dans l’eau de rose. Julie Lopes-Curval a choisi de traiter la construction personnelle de la femme moderne par la comédie décalée en mêlant images de roman-photo imaginatives et mise en scène à la narration plus classique. L’idée du genre et sa déclinaison cinématographique est souvent drôle. Mais on ne peut que regretter la victoire de la forme traditionnelle sur l’originalité visuelle et scénaristique qui fait basculer cet objet assez attirant dans le bon sentiment du film de qualité française.
Julie Lopes-Curval ne manque ni de talent ni d’humour : son film réussit dès les premières images à camper un décor fait de bric et de broc, tendance papier crépon et joyeuse naïveté, sans donner l’impression d’une jolie bulle vide ni tomber dans la médiocrité. Toi et moi accorde ainsi les images figées d’un roman-photo écrit par Ariane et leur traduction dans la vie réelle de sa famille. Le décalage entre les deux grains d’image, l’un éclatant presque kitsch, l’autre neutre, non sans saveur mais sans folie, entre deux genres, l’un narratif, l’autre démonstratif, permet la création d’un rythme enjoué propre à la comédie réussie dans la première heure.
Tout est donc coloré dans la vie d’Ariane, ses robes à pois et à rayures, ses joues rosées, ses mots naïfs pleins de l’espoir et de la tendresse des éternelles amoureuses. Elle vit dans un immeuble en travaux (elle l’est aussi), débordant de bruits, dans un monde de mouvements. La caméra y est alerte, curieuse de chaque lieu, sans insistance sur aucun. En revanche, tout est gris chez Léna : elle est violoncelliste, ne ressent plus l’harmonie des premiers jours avec François, son agrégé de fiancé, et tombe facilement dans la mélancolie des attentistes. Elle est bloquée dans un plan aussi fixe que l’est son incapacité au courage, à la décision. On pourrait voir en la confrontation des deux sœurs, de leurs caractères et de leurs apparences, un éternel retour à l’opposition de deux mondes.
Mais le film ne s’étend pas sur les disparités entre ses personnages ou ses couples, il manipule les clichés romanesques avec finesse et loufoquerie : la princesse en haut de sa tour devient une scribouillarde (Ariane) plantée en haut d’un échafaudage, le prince charmant un ouvrier fanatique des romans Harlequin. Le ridicule est ici de bon goût. Tout en restant dans la légèreté des chassés-croisés, Julie Lopes-Cuval parvient à donner de l’ampleur à sa petite histoire en cassant l’image, en l’affublant de nombreuses pistes visuelles, en créant un univers dont l’apparent désordre ne masque pas la richesse. Toi et moi, dans ses prémices, est donc un exemple réussi de l’union entre l’esthétique (plus construite évidemment qu’à l’habitude), les codes détournés du roman-photo et une image plus classique. Alors que l’on croit que le film pourrait basculer en permanence dans la niaiserie, le montage millimétré permet de sortir de ces eaux dangereuses juste à temps pour réjouir celui qui assiste à ces tours de passe-passe constants.
Dès lors, pourquoi la réalisatrice s’est-elle sentie obligée de revenir dans sa dernière partie à une comédie de mœurs classique ? Le rythme soutenu par le passage de l’immobilité d’une image de bande dessinée aux mouvements amples et légers d’une image inspirée est rompu quand il tombe dans la mollesse du mélodrame le plus profond. Les scènes de dispute ou de repas sont souvent traitées avec la neutralité du spectateur. L’erreur est probablement d’avoir choisi, pour le dénouement, de séparer les deux genres cinématographiques, de les traiter distinctement et d’en préférer le moins original : le comique n’explose plus et l’on finit par stagner au niveau de l’histoire d’amour banale.
Les acteurs peinent à faire jaillir en eux le grain de folie prometteur de leur réalisatrice : Marion Cotillard, Éric Berger et Jonathan Zaccaï sont visiblement beaucoup plus à l’aise dans le registre de la comédie sentimentale que dans celui du décalage comique. Seule Julie Depardieu tire son épingle du jeu (avec le petit rôle de Chantal Lauby) en restant égale à elle-même sur la longueur et en respectant le principe premier (et donc pas assez développé) du film. Son univers bariolé est le seul à se construire petit à petit et à ne pas décevoir. Mais l’ensemble laisse le goût acidulé des bonnes idées qui n’arrivent pas à leur terme.