Commençons d’abord par le pitch : Jérémie, joli garçon heureux en ménage avec un autre garçon, se réveille un beau matin dans le lit d’une charmante jeune femme. Que s’est-il passé ? Jérémie ne se souvient plus et aimerait bien oublier cette improbable incartade, d’autant plus qu’il doit bientôt épouser son compagnon. Problème : la jeune femme le trouble, l’obsède même. Il va tenter de la revoir, ce qui va l’entraîner dans une série de quiproquos tous plus absurdes les uns que les autres, et va révéler progressivement Jérémie à une évidence : il est amoureux d’elle.
Portes qui claquent, claques qui se perdent
Le concept du coming-out à l’envers, vaguement exploité ici ou là (on se souvient d’un épisode hilarant de Friends, dans lequel Phoebe divorçait d’un ami gay canadien qu’elle avait épousé pour qu’il puisse acquérir la nationalité américaine, et découvrait avec consternation qu’il était depuis devenu hétéro), n’avait jamais vraiment été traité au cinéma, et l’ambition toute romantique des deux réalisateurs (dont c’est le premier long-métrage) est de dire que tout peut arriver en somme, dans notre société où deux personnes du même sexe peuvent convoler en justes noces et où l’égalité ne peut désormais se heurter qu’à un seul véritable obstacle : le désir. On pourra toujours souligner que le monde dans lequel évolue le héros de Toute première fois est un cocon imperméable à toutes les difficultés que rencontrent encore aujourd’hui de nombreux homosexuels français : Jérémie est blanc, beau, parisien, aisé et issu d’une famille d’ex-soixante-huitards néo-bourgeois qui encensent ses choix de vie comme autant d’alternatives idéales au ronronnant conformisme de sa sœur qui, la pauvre, est non seulement hétéro et mariée, mais également enceinte (quel ennui !). Visiblement, les références vaudevillesques du tandem de réalisateurs lui semblent suffisantes pour l’affranchir de tout discours politique, réduisant le constat social à une seule question : le mariage pour tous est-il une forme d’embourgeoisement comme une autre ?
Non seulement le film ne cherche absolument pas à apporter une quelconque piste de réflexion pour alimenter le débat, mais il se contente surtout de reposer sur une mécanique comique éculée – le vaudeville le plus paresseux, le plus gras et le plus ringard, celui qui consiste à mettre un héros volage dans des situations plus rocambolesques et ennuyeuses les unes que les autres – qui ne suscite guère plus que de l’embarras pour les pauvres comédiens forcés à compenser l’inanité de la mise en scène et des dialogues par d’épuisantes gesticulations (pauvre Pio Marmaï, qu’on plaint réellement de s’être fourvoyé dans une telle galère). En dépit de son sujet casse-gueule, Toute première fois est si peu drôle, si peu ambitieux dans son approche d’une éventuelle polémique qu’il pourrait rester aussi inoffensif qu’il est mauvais : pas de sous-texte inquiétant prônant le retour d’un personnage gay à une sexualité hétérosexuelle, fort heureusement, mais plutôt une mécanique scénaristique en pilotage automatique qui puise son inspiration dans le tout-venant de la comédie romantique hollywoodienne lambda, avec déclaration d’amour à l’autre bout du monde en guise de climax.
Beauf bof
Comme dans toute comédie franchouillarde qui se respecte, le film repose moins sur son héros un peu fadasse que sur le piquant de ses seconds rôles, et c’est précisément là que Toute première fois, de navet sans intérêt, glisse vers un humour aux contours flous qui entretient une forme de complaisance insidieuse. À travers le personnage de Charles (Franck Gastambide), meilleur ami et associé hétéro du héros, les blagues les plus grivoises et les plus éculées sur l’homosexualité sont autorisées : on peut y aller gaiement, puisque Charles n’est pas homophobe mais juste ignorant, stupide et lourdingue !… En faisant de cette caricature de « beauf-mais-sympa-et-romantique-au-fond-de-lui » le bouffon du film, celui qui fait se gondoler les spectateurs dans la salle avec des dialogues hérités des heures les moins glorieuses des Grosses Têtes et de Bigard, les deux réalisateurs semblent oublier que s’il est plus que recommandé de rire de tout, encore faut-il être pourvu d’atouts solides pour le faire. Pas sûr que la quéquette de Franck Gastambide, agitée sous le nez de Pio Marmaï en ultime ressort comique pour arracher quelques rires gras supplémentaires, soit suffisante pour nous en convaincre.