Envie de comédie ? Détrompez-vous, cette fois-ci, Judith Godrèche n’en veut plus. La preuve avec son premier film d’auteur, Toutes les filles pleurent, il y a du ukulélé (Julien Doré à la composition), un vil amant (Éric Elmosnino), une fille désenchantée (Judith Godrèche), mais qui est à la réalisation ?
Judith Godrèche se lance dans la réalisation avec son premier long métrage, Toutes les filles pleurent. Il y avait tout à craindre avec un titre aux résonances pathétiques et ce désir de mise en scène venant d’une femme au parcours plutôt surprenant. Découverte par Jacques Doillon dans La Fille de quinze ans, elle tourne dans des films d’auteurs, (Jacquot, Assayas, Fillière) puis change de voie, comme si, après avoir bien trop pleuré, il lui fallait rire à pleine gorge, tout azimut, dans des comédies loufoques mais surtout affligeantes. Dès lors, au diable la fille tourmentée, l’actrice joue désormais des rôles insipides, quitte à devenir la caricature de la blonde ingénue. À force de s’enliser dans des films mineurs, qui pouvait se douter que Judith Godrèche écrivait ? Quelques curieux ont peut-être lu son premier roman scénarisé Point de côté, d’autres, savent sans doute qu’elle a mis la main à la patte pour les scénarios de Doillon et Jacquot. Elle écrit, et depuis longtemps. Sauf que l’actrice rêvait ces dernières années d’un rôle dramatique. Personne ne lui en proposait, elle se l’est donc inventé à travers Lucie, une jeune femme paumée qui mène sa vie au rythme de ses envies jusqu’au jour où rien ne va plus. Ses amours, son travail, tout lui échappe, et des bribes de son enfance malheureuse reviennent la hanter. Point de comédie donc, mais un (très) petit drame contemporain, une crise existentielle, qu’il faut voir plus comme une tentative ratée (mais bien tentée) d’un cinéma dit d’auteur.
Personne ne peut reprocher à Judith Godrèche d’avoir été une bonne mère. Elle porte son film avec sincérité. Si bien qu’elle a voulu endosser tous les rôles : actrice, réalisatrice, scénariste, chanteuse, puis maîtresse, mère, fille, et malgré sa bonne volonté, son égocentrisme empêche ses personnages d’évoluer parce qu’elle les étouffe. Une overdose. Comme une mère poule, elle n’a pas voulu lâcher son film, lui donner un semblant de liberté, et finit par l’asphyxier. Il existe des milliards de Lucie, de grandes filles avec des habits de petites filles, amoureuse d’un homme qui en aime une autre. Lucie vagabonde, butine, ne sait pas bien où elle met ses pas, se laisse amadouer par des mots doux, se rebelle parfois et surtout contre les mauvaises mères.
Judith Godrèche apparait à tous les plans. Si ce n’est pas elle, c’est son double : une jolie petite fille. Sacrilège ! Il est parfois périlleux de jouer le rôle principal dans son premier film, mais le pire n’est pas là, mais plutôt dans l’idée de lier l’indécision de cette femme à son enfance. Lucie a mal vécu le divorce de ses parents et la solitude que ce drame a généré. Une mère absente, un père dragueur, la voilà perdue à attendre sa mère devant l’école, sans jamais la voir arriver. Dans la vraie vie, ces histoires arrivent mais « puisque le cinéma substitue à nos regards un monde qui s’accordent à nos désirs », cette histoire doit devenir le miroir d’une réalité pour éviter qu’un souvenir sincère soit condamné au pathos. Bien que nous ressentions un désir de mise en scène, il n’aboutit pas.
Il manque à ce film un rythme. Une caméra qui se balance entre les personnages ne sert à rien sinon exprimer une certaine instabilité des âmes gravitant autour de l’actrice. Mais encore ? Même la musique (puisque Lucie est chanteuse) ne parvient pas à s’imposer : la voix fluette de Judith Godrèche s’accorde à l’ennuyeuse mise en scène des concerts. Sans parler des jolies robes à fleurs de l’actrice. Judith Godrèche hésite à s’affirmer, comme son héroïne. Et pourtant, si Lucie a le droit de ne pas oser, Judith le peut. L’actrice a‑t-elle remplacé la réalisatrice derrière la caméra ? Admettons cette hypothèse. Dès lors, les deux personnalités se battent. L’une convoque l’apathie, l’autre la colère. D’où cette sensation de duplicité chez Lucie. Quand elle s’énerve, Judith s’exprime, se noie dans l’alcool, cherche à contacter la femme de son amant, fricote avec une amie lesbienne, gifle une mère indigne. Lorsque l’audace disparaît, il reste l’éternel enfant, Lucie. Elle devient un « super héros » (comme ce Zorro accroché dans le mur de son appartement) prêt à punir les mauvaises mères. Par contre, quand son voisin vient l’aider à soulever le frigidaire pour sauver son lapin, la crédibilité de Lucie en prend un sacré coup. « Faut que je me réveille » dit-elle, l’envie vient de lui demander « et presse toi ! ».