Tourné en 1970 par Hamid Bennani, réalisateur de Meknès formé à l’IDHEC (ancêtre de la Femis), Traces est considéré comme le film fondateur de la cinématographie marocaine. Cette tragédie sociale, bien que retranscrivant un malaise propre à la jeunesse marocaine de l’époque, conserve une dimension universelle en lien avec sa thématique : celle de la fureur de vivre, de la rébellion des opprimés.
Traces, c’est le parcours d’un orphelin, Messaoud, un petit garçon « à bouille » adopté à huit ans par un couple ne pouvant avoir d’enfant. L’enfant ne parvient pas à s’adapter aux règles imposées par la cellule familiale, et plus tard, à la loi qui régit le système social de l’époque, entre religion et tradition.
Pour représenter l’oppression des systèmes, la réalisation choisit d’être sobre, épurée, et les dialogues sont rares. Les scènes d’intérieur, dans la maison familiale sont découpées « à la Ozu ».
Mais Traces, c’est aussi le parti pris fort d’épouser le point de vue désorienté de Messaoud enfant, puis jeune adulte. La mise en scène ne tarit pas de trouvailles pour parfaire cette identification fondamentale à l’empathie du spectateur.
De nombreux gros plans sur les visages enfant et adulte du protagoniste appuient cette empathie et mettent en valeur le jeu excellent et dépouillé des deux acteurs.
Quelques notes de musique, thème intime et mélancolique de Messaoud, rythment les moments fondateurs de sa vie : traumatismes ou prises de conscience. C’est aussi, dans la façon de suspendre le temps par le montage que le film plonge le spectateur dans l’intériorité ébranlée du personnage. Le montage permet d’isoler une séquence et lui faire porter toute la charge affective et émotionnelle de Messaoud. Ces bulles subjectives, sont des instants de grâce dans le fil d’un récit naturaliste, proche du néo-réalisme italien.
Le film, édité en DVD, a souffert de l’épreuve du temps. Au fil de l’histoire, l’image est gangrenée par la pellicule en partie brulée. Étonnamment, cet « accident » renforce le mysticisme du film, il rappelle sans cesse le feu intérieur du personnage qui ne s’éteindra qu’avec sa perte, tandis que le mot « fin » sur l’écran reconduira chaque spectateur à son propre parcours éternellement marqué par les Traces de celui de Messaoud.