On devrait se réjouir que des documentaires continuent de sortir en salle, particulièrement lorsqu’ils parlent de sujet aussi pointu que le Philharmonique de Berlin. Mais devant le traitement très télévisuel dont il bénéficie ici, difficile de ne pas se demander l’intérêt d’une telle distribution là où un passage télé aurait amplement suffit. Surtout qu’un écran de cinéma a la fâcheuse tendance de faire ressortir tous les défauts.
L’année dernière, l’Orchestre Philharmonique de Berlin, mené par Sir Simon Rattle, a effectué une tourné dans les plus importantes villes d’Asie : Pékin, Séoul, Hong Kong, Shanghai, Taipei et Tokyo. Ils n’étaient pas seuls car une équipe de tournage, menée par Thomas Grube, chargée de faire un film sur eux, les accompagnait. Elle en a ramené quelques images : des répétitions dans les différents opéras, les représentations, des interviews d’une poignée de membres de l’orchestre, de leur chef, ainsi que quelques plans sur la vie urbaine des cités asiatiques. Le tout a ensuite été monté selon un dispositif bien précis : chaque ville s’assimile à un thème (l’intégration des nouveaux membres dans l’orchestre, l’effacement des divers individualités, les méthodes de travail etc…). Et une fois tout cela bien mis en place, le prestigieux Philharmonique de Berlin, l’un des meilleurs orchestres du monde, si ce n’est le meilleur, nous ouvre ses portes et livre les secrets de son fonctionnement.
Le sujet est passionnant. Le film l’est moins. Essentiellement parce qu’une tradition du documentaire semble définitivement se perdre chez les jeunes réalisateurs comme Grube : sa part cinématographique. Le dispositif mis en place, bien qu’astucieux, dissimule mal le manque d’intérêt du réalisateur pour son film. Il le rend répétitif et lourd de sens. Les interviews dictent le propos tandis que les images comblent le vide. Il manque une petite dialectique entre le fond et la forme pour faire vibrer le tout. Ces inserts omniprésents sur la civilisation chinoise, coréenne ou japonaise, placés là comme pour illustrer ce vieux cliché idiot qui veut que dans les contrées exotiques, nous, Occidentaux ternes, nous nous révélerons à nous-mêmes, trahissent bien l’absence d’ambition artistique. La seule chose qu’on y voit en vérité, c’est le regard médusé d’une bande de vidéastes fascinés par ce qui leur paraît étrange, ce qui ne leur ressemble pas. C’est la rançon de l’exotisme facile, le racisme latent dû à la pulsion de montrer, plutôt que le désir de comprendre, ce qui est le propre de la télévision, sa vocation pornographique.
Car c’est surtout d’une esthétique télévisuelle que Trip to Asia tient. Jamais, par exemple, la musique classique, pourtant thème central du film, ne vient prendre une part conséquente dans la réalisation. Le choix aberrant d’embaucher un compositeur pour créer une musique d’ambiance à partir de sons enregistrés pendant la tournée montre bien que quel que soit l’objet dont il est question dans le film, il aura droit au même traitement qu’un autre. Le seul véritable but ici est de répondre à son devoir d’information (on y apprend tout de même des choses), linéaire, ordonné et propre. Tout le reste, ce visuel qui témoigne de la présence de l’orchestre en terres d’Asie, n’est que divagation, fioriture, ornement. C’est un travail de remplissage, pas de construction cinématographique. On ferait peu de différence entre un reportage d’une cinquantaine de minutes pour une théma Arte et ce film, si ce n’est que l’un serait plus honnête sur sa véritable nature tandis que l’autre se drape d’artifices métaphysiques pour avoir les honneurs d’une sortie en salles. Mais si nous avons été très (trop ?) indulgents avec la télévision, nous n’avons pas le droit de l’être avec le cinéma, dernier rempart bien délabré contre la médiocrité télévisuelle. Sur un grand écran, certaines fausses notes ne passent tout simplement pas.