Si l’on voulait caractériser le dernier film de Frédéric Schoendoerffer, on dirait que Truands est… un film de truands, ni plus ni moins. Ce n’est pas un thriller, ce n’est pas un film policier, c’est une plongée radicale et quasi documentaire dans le monde du grand banditisme, avec sa hiérarchie, ses magouilles, ses règlements de comptes, ses horreurs. Choquants, révoltants, agaçants, le sujet et les personnages le sont indéniablement. Comment pourrait-il en être autrement quand se déroule sous nos yeux la vie de truands sans foi ni loi comme Claude Corti et ses acolytes ? Truands souffre de quelques longueurs et manque peut-être de puissance narrative. En revanche, il faut reconnaître à Schoendoerffer un vrai talent pour dépeindre le milieu qu’il a choisi d’observer, aussi dur et impitoyable soit-il.
Truands est un film dont on ne ressort pas indemne. Tout simplement parce que durant 1h50, il plonge la tête du spectateur sous l’eau et ne lui permet de la redresser qu’une fois la projection terminée, quand certaines images ne reviennent pas le hanter. Schoendoerffer s’est beaucoup documenté sur le milieu du grand banditisme, pour produire un film qui soit le plus réaliste possible. S’inspirant de faits divers et de personnages réels, Truands suit le trajet d’un grand nombre de personnages, Claude Corti (Philippe Caubère) et son comparse Franck (Benoît Magimel) en tête. Corti est le chef, celui qui est craint et parfois haï, celui qui a acquis une sorte de droit de vie et de mort sur son petit monde. Faux papiers, réseau de prostitution, drogue, il règne en maître et gère les coups tordus comme un vrai business-man.
Pour asseoir la dimension réaliste de son film, Schoendoerffer adopte un principe de mise en scène et le suit jusqu’au bout : il cadre constamment à hauteur d’homme. Jamais sa caméra n’effectuera de plongée ou de contre-plongée, toujours le point de vue adopté sera celui de l’immersion totale et au niveau des truands dans leur milieu. La caméra virevolte un peu au début du film, notamment quand Corti entre dans une chambre d’hôtel pour aller saluer le jeune Larbi (Tomer Sisley), fraîchement sorti de prison. Entre toutes les filles nues qui déambulent dans la chambre, la caméra ne sait plus où donner de la tête. Mais c’est quasiment une exception. La plupart du temps, elle suit discrètement l’action, intégrée comme un membre de la fratrie.
Le film souffre déjà et souffrira encore de nombreuses critiques quant à son manque d’intrigue, ainsi qu’à la violence et au machisme qu’il présente. Sans vouloir se faire l’avocat du diable, il est cependant nécessaire de pointer du doigt la cohérence dont fait preuve Schoendoerffer tout au long du film. S’il avait voulu réaliser un thriller, il aurait mis en place une intrigue autour d’un personnage, un mystère à percer. Mais là n’était pas son ambition. Son ambition était de dépeindre le milieu des truands avec le plus de véracité possible, de les saisir dans leur vie quotidienne, leurs habitudes, leur mode de fonctionnement. En s’attachant à décrire au quotidien cette micro-société, il passe certainement à côté d’une histoire plus trépidante et enlevée.
Mais ne lui faisons pas de faux procès sur ce point, pas plus que sur le caractère violent et profondément machiste de son film. Oui, le film est violent, oui, les dialogues sont machos au possible et même révoltants, surtout si l’on est une femme. Mais si tel n’avait pas été le cas, on n’aurait pas manqué d’accuser Schoendoerffer de jouer petit bras. La scène de torture est insupportable, c’est indéniable. Elle n’a pas été filmée dans l’optique d’épargner le spectateur. Mais elle n’est pas gratuite. Plus suggérée, elle aurait eu moins d’impact. Si l’on suit la logique réaliste jusqu’au bout, ces scènes de violence sont, dans leur grande majorité, justifiées par le scénario.
Sans polémiquer sur l’interprétation de Philippe Caubère, agaçant pour certains, parfait de démesure pour d’autres, notons que le personnage le plus intéressant du film est sans doute celui qu’interprète Benoît Magimel, Franck, le petit préféré de Corti. Le film s’ouvre sur lui, la caméra reculant tandis qu’il marche vers elle, et se referme sur lui, figure solitaire et mystérieuse qui s’éloigne et prend du recul par rapport à ses activités. Truands n’est pas parfait, mais a le mérite d’aller jusqu’au bout, sans fioritures. Et l’on a rarement été aussi heureux de rentrer tranquillement chez soi.