La présence en tête d’affiche de l’acteur Chace Crawford de Gossip Girl l’atteste : sous couvert de l’adaptation d’un roman « choc », Twelve pourrait être la version ciné inavouée de cette série qui narre avec un sourire de connivence les turpitudes de la jeunesse dorée new-yorkaise. Mais une version qui, en insistant sur le trash et les traumas personnels de chacun, lorgnerait vers la noirceur proverbiale des considérations sociales d’un Bret Easton Ellis. Point trop n’en faut, cependant : le rôle de l’inévitable narration off commentant les faits avec l’ironie et la rudesse de circonstance est assuré par la voix grave du quinquagénaire et sentencieux Kiefer Sutherland — familier du réalisateur Joel Schumacher, notamment de ses films de « jeunes décadents » Génération perdue (1987) et L’Expérience interdite (1990) — ce qui met aussitôt le holà à toute espérance d’une réelle audace.
Ça se passe comme ça, chez Schumacher : on en met plein la vue pour impressionner le bourgeois américain pendant une grosse heure, avant de se reposer en douceur avec une fin qui le rassurera sur la présence d’un ordre moral en ce bas monde. Et puis, les jeunes, le sexe, la drogue, la décadence qui se paie comme il se doit à Hollywood — Schumacher connaît tout cela, ou plutôt ce n’est pas la première fois qu’il se complaît à manier la carotte et le bâton sur ces sujets, racolage jeuniste et branché invariablement conclu dans un moralisme d’un autre âge. Mais qualifier la pratique d’hypocrite serait bien charitable, puisque jamais ce réalisateur pataud ne se trouve en position de bluffer qui que ce soit : quels que soient ses effets de manche, il est incapable de masquer son appartenance à une industrie du spectacle où le conformisme est par défaut une règle de la maison. Dans Twelve, il fait mine de pointer les travers et la perdition des jeunes de « la haute », mais en étalant un casting de « fils de bonne famille » (il y a la nièce de Julia Roberts, le frère de Macaulay Culkin, la fille de Lenny Kravitz et même le petit-fils de Gregory Peck) et dans le rôle d’un affreux dealer, le choix on ne peut plus original d’un rappeur gangsta (Curtis « 50 Cent » Jackson). Un beau monde sur l’image duquel il ne joue jamais, préférant l’accréditer, et qui plus est dans des rôles auxquels il ne s’intéresse pas vraiment. Leur superficialité traitée superficiellement, leur intimité traitée sommairement, leurs vies et même leurs morts servent de faire-valoir à la noirceur en toc du récit, périphériques autour du personnage joué par Chace Crawford qui ouvre, guide et ferme le film : « Mike le Blanc », le petit dealer d’herbe qui se flatte de garder les mains propres en exerçant un commerce inoffensif alors même qu’il trafique avec de vrais marchands de mort, et qui prendra la nécessaire leçon de morale finale.
« Quête d’identité artistique »
« Nécessaire » ? Cette conclusion elle-même n’en paraît pas aussi convaincue, à en juger comment elle passe mal à l’écran : pas seulement parce qu’elle est lourde, mais parce qu’elle apparaît trop appliquée, trop explicite, pas assez roublarde. Suspecte, tout de même, cette persistance de Schumacher à faire ressurgir dans ses derniers films une posture de bigoterie aussi ringarde qu’un reliquat des années 1980, jusque dans le moindre petit film de genre tel que Phone Game ou Le Nombre 23, telle une signature contrefaite et ironique à l’adresse de ses détracteurs, mais néanmoins vitale pour qu’il puisse conserver un semblant d’existence. Quand on y repense, l’homme aura passé la majeure partie de sa carrière à tâcher de faire l’intéressant au sein du système hollywoodien, de s’y créer à tout prix une identité faite de clinquant et de soufre bon marché, jonglant avec des étiquettes défraîchies d’excentrique vaguement sulfureux d’un côté, d’infâme réac de l’autre, avec des résultats dans l’ensemble pitoyables. Qu’il joue de son homosexualité affichée pour se vautrer dans le cliché de la « folle » excentrique (le pauvre Batman affublé d’une armure à tétons dans Batman Forever, Personne n’est parfait(e)…) ou qu’il titille les âmes bien-pensantes en flirtant jusqu’au grotesque avec les bas-fonds fascisants (Le Droit de tuer ?, 8mm…), Schumacher, malgré de louables efforts, n’aura jamais été mesure de faire valoir une quelconque personnalité de cinéaste, fût-elle haïssable — trop soumis qu’il est aux systématismes hollywoodiens tout en se persuadant d’agir à sa propre guise en leur sein. Il faut voir comment, en guise de réalisation, il aligne les effets chipés çà et là, dans les pubs ou chez les voisins (on repère dans le bric-à-brac de Twelve des slogans dits face caméra, idée empruntée à Spike Lee), sans que cet ensemble informe de trucs épars ne témoigne d’une autre volonté que celle de ramasser la moindre miette d’originalité — comme pendant sa période Tigerland / Phone Game où il se targuait de s’inspirer du « Dogme » de Trier et compagnie. Twelve n’est jamais que l’énième épisode de la quête d’identité artistique menée par un tâcheron depuis plus de trente ans, sans qu’il s’en soit jamais donné les moyens. Et les quelques-uns qui, par réflexe, vilipenderont une nouvelle fois son fonds de commerce nauséabond lui accorderont plus de crédit qu’il n’en mérite.