Les enfants des films hollywoodiens attendrissent souvent de par leur nature, comme tous leurs semblables. Mais soyons honnêtes : leurs interventions à l’écran provoquent rarement de réelles émotions, tant les tics de jeu s’avèrent plus criants chez eux que chez leurs aînés — citons les prestations empruntées des enfants-stars de ces dernières années, les sœurs Fanning, Haley Joel Osment, etc. On peut imputer cette faiblesse à au moins deux choses : à la maladresse de l’écriture de ces personnages par des scénaristes plus à l’aise avec les subtilités de la maturité qu’avec celles de l’enfance ; et aussi à une direction de jeunes acteurs qui les incite à singer les méthodes des comédiens adultes, en se plaquant évidemment sur la caractérisation sujette à caution. Cette tendance du cinéma hollywoodien est un danger supplémentaire pour Un enfant pas comme les autres, d’autant qu’autour de son personnage de petit garçon, ce film tente timidement un regard critique sur le conformisme social et intellectuel en vigueur.
Recentrer l’excentrique
Le très fiable John Cusack incarne ici un écrivain de SF à succès, intelligent, un peu excentrique et veuf inconsolable, qui envisage d’adopter un enfant. Les semblables s’attirant, comme on dit, il prend sous sa tutelle le petit Dennis, qui a la singularité de déclarer à qui veut l’entendre qu’il vient de la planète Mars et qu’il est en mission sur Terre, ce par quoi il explique lui-même son étrange comportement : protection permanente contre la lumière du soleil, ceinture lestée pour parer à la gravité, nutrition à base exclusive de céréales Lucky Charms… Jeux d’enfant sophistiqués mais innocents, recherche d’attention, signes de traumatisme ou de troubles mentaux, ou… hypothèse moins rationnelle ? Si les éléments de départ du film semblent assez effarants, la suite se veut nettement plus sérieuse.
De même que le nouveau père tente à la fois de respecter l’imaginaire de l’enfant et d’assurer son intégration dans la société, le réalisateur Menno Meyjes — qui a débuté comme scénariste pour Spielberg, notamment sur La Couleur pourpre — fait mine de suivre deux lièvres à la fois, des lièvres qui ont tendance à se marcher l’un sur l’autre. Ces personnages de père et de fils, chacun à sa façon en marge de la pensée dominante, amènent la question de la façon dont l’individu devrait prendre sa place dans la société : pour vivre le plus pleinement possible, devrait-il défendre ses singularités à tout prix, ou, quitte à les conserver dans sa sphère privée, chercher à intégrer la normalité ambiante ? Posée au sein d’un cinéma enclin au formatage, s’adressant à une société qui ne l’est pas moins, la question s’annonce intéressante. Mais simultanément, le même film, bien soumis à ses règles de dramaturgie, s’applique à la résolution de ses questions à elle, des interrogations de pur scénario : le mystère de ce petit garçon, de ses origines et de son comportement. Ce qui, insidieusement, compromet la portée de l’autre question qu’on promettait plus ambitieuse : chercher à expliquer cet étrange petit garçon, c’est déjà chercher à la ramener à un domaine quantifiable, donc à une forme de normalité ; et de fait, court-circuiter le débat formulé par ailleurs.
Enfant de papier
La seule occasion de trouble et de remise en question que tente de saisir le film à l’écran — et pas seulement sur le papier — repose sur le jeu de John Cusack, dans le rôle de l’écrivain un peu perdu entre deux mondes, pas tout à fait à l’aise parmi ses semblables, partagé entre rationalisme rassurant et imagination foisonnante, et que ses nouvelles responsabilités vont déstabiliser encore plus. L’acteur incarne idéalement ce monsieur Tout-le-monde-mais-pas-trop, au physique lisse mais dont la diction porte à la fois force et fragilité, et qui glisse par moments vers une instabilité qui en assombrit le portrait (une scène de réveillon de Noël en arrive à être assez intimidante). Mais si ce talent se remarque, c’est aussi parce que le reste des interprétations n’est pas tout à fait au même diapason, allant d’une certaine fadeur à une tendance au sur-jeu dans la fonction assignée par le scénario (d’Amanda Peet, dans le rôle du joli sourire consolateur de veufs, à Joan Cusack, sœur de John à la ville comme dans le film). Inégalité qui culmine avec la composition impossible du personnage de Dennis, l’enfant « martien ».
Le jeune interprète Bobby Coleman n’est pas vraiment à blâmer. Il aurait fallu une bonne dose de talent précoce, mais surtout une direction d’acteur plus sensible le concernant, pour donner consistance à ce personnage que les auteurs ont moins écrit que monté de toutes pièces. En l’état, on le perçoit instantanément et durablement pour ce qu’il est : non un personnage incarné, de chair et de sang, mais un assemblage froid et sans vie de singularités plus ou moins propres à amuser la galerie, reliées par un scénario avec une clé à trouver à la fin. Cette nature sur-fabriquée devient de plus en plus encombrante au fil du film, tandis que la piste des jeux d’enfant un peu bêta s’estompe devant des questions d’un sérieux des plus conventionnels (d’où vient ce garçon ? que va-t-on faire de lui ?), que ce personnage-pantin se voit instrumentalisé à des fins de mélodrame maniant grossièrement la psychologie. On s’achemine alors vers la conclusion qu’on pouvait craindre : un climax indéfendable — et qui achève de convaincre qu’à aucun moment les auteurs n’ont considéré leur petit « Martien » comme un personnage d’enfant –, une résolution rassurante qui élucide les énigmes et passe à la trappe les semblants de questionnements un peu dérangeants qu’on a pu soulever ici et là. L’extraterrestre deviendra un Terrien des plus normaux, la morale est sauve : ce n’était finalement guère la peine de faire tout ce voyage.