Avec l’histoire de Vitorio, soldat revenant de la guerre avec une décoration mais aussi une jambe en moins, Zézé Gamboa parle d’un État qui laisse sur le côté ses anciens héros, mais aussi ses professeurs, ses jeunes gens… Sur le chemin de la reconstruction, Vitorio va trouver un amour, une famille, une dignité.
En 1992, Zézé Gamboa subit un choc. Les yeux rivés sur la photo d’un vétéran de la guerre de son pays, dormant dans la rue comme un misérable, il décide de prendre cette histoire à bras-le-corps et d’en faire un film. Avec Carla Batista, journaliste et scénariste, il écrit les premières versions du scénario. Mais il faut attendre encore dix ans et la fin de la guerre pour pouvoir tourner Un héros en Angola. Avant même l’indépendance du pays, en 1975, deux partis révolutionnaires concurrents ont commencé à s’affronter dans les années soixante : le MPLA (Mouvement Populaire pour la Libération de l’Angola), et l’UNITA (Union Nationale pour l’Indépendance Totale de l’Angola).
Plus de deux décennies d’atrocités, de jeunes gens enrôlés de force, de terres ravagées par les mines antipersonnelles. C’est précisément en sautant sur une mine que Vitorio, le héros du film, perd une jambe à la guerre et est démobilisé. Revenu à Luanda, l’homme se retrouve sans rien. Sans toit, sans travail, sans famille, sans distinction de la société (à part une médaille de guerre qu’il porte fièrement au revers de son uniforme), sans passé. Déroulant le fil de l’histoire d’un héros déchu, Zézé Gamboa met en scène Vitorio à l’hôpital, insistant des journées entières pour obtenir une prothèse, cherchant du travail sur les chantiers, rencontrant des filles dans un bar, dormant dans la rue. Une nuit, Vitorio se fait voler sa prothèse. C’est à partir de cet épisode qu’il va se retrouver en lien avec les autres personnages du film.
Prenant soin d’ancrer ses personnages dans leur vie quotidienne, le cinéaste capte à travers eux l’essence de Luanda pour brosser un portrait de l’Angola d’aujourd’hui.
Il y a Manu, dix ans, qui vit dans une modeste demeure avec sa grand-mère Flora ; son père est parti faire la guerre, et n’a plus jamais donné de nouvelles. Pour Manu, l’école ne sert à rien et il passe des après-midis avec sa bande de copains à récupérer ou voler des objets pour les revendre dans le dépôt d’un gros Portugais, véritable caverne d’Ali Baba où l’on trouve des radios, des roues de vélo, et aussi des armes… et la prothèse du héros.
Il y a Joana, la jeune et belle institutrice de Manu. À travers elle, Zézé Gamboa peut faire passer toutes les revendications sociales de ses compatriotes ; elle fait grève pour les salaires qui ne sont pas versés depuis des mois, elle critique son ami Pedro revenu des États-Unis qu’une place toute chaude attend dans le cabinet de son ministre d’oncle.
Il y a Judite, enfin, qui a quitté son village pour fuir la guerre, laissant son fils derrière elle. Elle travaille dans une boîte de nuit ; la rencontre de Judite et Vitorio, deux êtres que la guerre a marqués à vie, ouvre le nouvel espace d’une vie à (re)construire à deux.
Le scénario, très serré et précis, nous attache à l’histoire comme dans un beau conte un peu triste mais illuminé par certaines présences. Issu du documentaire, Zézé Gamboa insuffle néanmoins à son film un style très réaliste, en mettant en scène les véritables habitants de Luanda (la scène des files de personnes attendant de pouvoir délivrer leur avis de recherche d’un membre de leur famille devant les caméras de télévision). Mais Un héros propose, en plus de son style très ancré dans la réalité, un vrai regard cinématographique. Dans la mise en scène des bandes rivales de gamins, petit monde à part où la débrouille et les « petits chefs » règnent en maître, chaque enfant dégage une vraie personnalité et un physique caractéristique (le regard dur et les cheveux teints en blond du chef jouant au tyran, la douceur et la tristesse de Manu, les plus petits sous la coupe des plus grands…). Le réalisateur a su distiller sur les visages et autour de ses personnages une réelle beauté dans la lumière : les néons bleuâtres sous l’auvent de l’entrée de la maison de Flora, qui va pesamment, son lourd seau d’eau à la main ou sur la tête, les lumières irréelles de la boîte de nuit où travaille Judite, les lumières de la nuit misérable quand Vitorio s’endort sur un carton et celles de la nuit magique, pleine de tendresse, de Vitorio et Judite, peau sombre et peau claire se mélangeant…
Finalement, la force d’Un héros tient beaucoup dans ce qu’il nous apprend de l’Angola, un pays où tout est à inventer. Les infrastructures, le déminage des campagnes qui pourrit le quotidien des agriculteurs et, surtout, les vies. On peut émettre quelques réserves sur la mise en scène, qui s’étire un peu trop en longueur dans la dernière partie du film. Une fois les personnages bien en place et les rencontres croisées tissées dans l’histoire, on sent que le réalisateur ne sait plus trop quoi faire de ses personnages. Il nous laisse sur un espoir, avec le retour à la vie professionnelle pour Vitorio, la naissance d’une histoire d’amour, et la découverte d’une petite famille avec Manu et Flora. Saluons la subtilité de ne pas avoir fait de Vitorio le père de Manu ; le stratagème eût paru trop gros. Meurtris par la guerre, les pertes d’êtres chers, les Angolais peuvent se retrouver dans la solidarité et partager leur fardeau pour avancer malgré tout. En 2006, l’Angola doit élire un nouveau président. Gageons qu’il saura leur faire oublier vingt-cinq années d’horreur.