Depuis le début du mouvement des Gilets jaunes fin 2018, qui a entre autres remis en pleine lumière le problème des violences policières, le journaliste et lanceur d’alerte David Dufresne rassemble des vidéos où s’accumulent dérapages et agressions manifestes de la part des forces de l’ordre. Elles composent une partie de ce film en forme de bilan à froid, qui rassemble les épisodes les plus connus (la sordide descente de CRS au Burger King de l’Étoile ou encore l’arrestation de dizaines de lycéens à Mantes-la-Jolie), tout en faisant intervenir des victimes entre deux décryptages d’experts (principalement des historiennes, sociologues et journalistes spécialisés dans la couverture des luttes sociales). Pas question de livrer les images à elles-mêmes, ni de proposer un montage-somme en forme de glaçante compilation : le parti-pris du film, qui oppose au chaos des images le calme de la parole, part du principe que la seule violence graphique ne suffit pas à convaincre les plus sceptiques. C’est que la guerre des images semble avant tout relever d’une lutte pour la légitimité et l’information, le film choisissant d’épauler les fragments vidéo d’une parole savante, qui brille par son érudition tout en étant pédagogue.
Cette même parole a malheureusement pour conséquence de reléguer peu à peu les extraits vidéo au second plan. Plutôt que d’en faire l’enjeu central de son dispositif, comme on pouvait initialement le croire (les intervenants sont positionnés devant un écran de cinéma où sont projetées les séquences ramassées), Un pays qui se tient sage livre une étude contextuelle des luttes contemporaines où les images ne sont plus qu’un support de discussion. David Dufresne privilégie ainsi la dimension collective et participative de la projection sur grand écran, dans un film qui anticipe sa propre réception – tel une captation de réactions post-séance, où l’on ne discuterait pas de ce que le film fait mais de ce qu’il pointe du doigt (des constats forcément révoltants : la répression policière grandissante, la négation des libertés fondamentales, la souffrance banalisée des manifestants, etc.). En connaissant la relation étroite que le cinéaste entretient avec ces images glanées sur le Net et la pratique du copwatching (depuis deux ans, Dufresne rassemble, trie et relaie les vidéos de violence policière pour constituer une base de données à destination de la presse et des organes militants), il y avait de quoi espérer une réflexion plus aboutie sur le rôle qu’elles peuvent jouer dans notre démocratie, mais aussi sur leurs limites (la question du point de vue, du montage, de leur malléabilité numérique et de leur récupération par les médias de masse) ou leur potentiel transgressif (notamment le rapport de force qu’elles imposent à la société néolibérale qui les a paradoxalement produites) – autant de problèmes à peine évoqués au détour d’entretiens dont ça n’est jamais vraiment le sujet. En l’état, il faut admettre qu’Un pays qui se tient sage n’est pas tout à fait à la hauteur des enjeux qu’il soulève.