Rarement un film n’aura aussi bien mérité son label « d’après une histoire vraie », tant le deuxième long-métrage d’Emmanuel Courcol, plus connu jusqu’ici pour son travail de scénariste, n’a gardé de sa source d’inspiration – comment un comédien suédois a monté en 1985 En attendant Godot avec les détenus d’une prison – qu’une histoire. Tout le reste, ou presque (la conclusion, romancée mais qui rejoue l’issue du fait divers), est inventé : les personnages, le contexte, les péripéties. Il est important de le préciser, car le film jongle avec un ensemble de données narratives qui ne lui sont guère imposées par l’impératif de composer avec un fait réel, mais qui participent bien d’un jeu d’équilibriste organisé par le scénario. Pour un feel good movie rassembleur, Un triomphe n’hésite pas à embrasser une matière parfois abrasive : la violence du milieu carcéral, l’humiliation des fouilles, le hors-champ que constitue le passé des détenus-acteurs (dont Étienne, le personnage du metteur en scène joué par Kad Merad, « ne veut rien savoir »), ou encore le portrait d’un acteur à la carrière ratée (réduit à diriger pour le compte de comités d’entreprises des ateliers où les participants interprètent le haka des All Blacks), qui trouve dans ce dispositif théâtral de réinsertion la mission de sa vie.
Sans surprise, ces différents aspects, peu consensuels, sont en fin de compte ripolinés, mais on s’étonne en revanche qu’ils fassent chacun l’objet d’une scène ou deux, là pour montrer que, derrière la success story, se cache une réalité moins aimable, qui soulève même quelques questions – par exemple lorsque la juge qui valide le dispositif s’interroge, sans creuser sa réflexion, sur le fait qu’il faut peut-être penser aux victimes, et ne pas faire de ces prisonniers-acteurs des célébrités. Comme si le film, sans au fond rien sacrifier à son horizon fédérateur – la grande affaire du cinéma populaire français –, cherchait à montrer patte blanche, à prouver qu’il a bien conscience que la réalité est moins rose. Quand bien même Courcol cherche à circonscrire la « vérité » de son sujet (un exemple parmi d’autres : la communication autour du film met en avant que nombre de scènes ont été tournées dans une vraie prison), il n’en demeure pas moins que lesdites séquences tombent généralement comme un cheveu sur la soupe – ce que pointe la matière même du montage, où ces à-côtés du récit sont souvent coupés en pleine action. Idem pour les scènes de répétition, escamotées, qui constituaient le bel enjeu du film : filmer la progression d’acteurs qui, pour reprendre l’expression d’Étienne, « jouent faux, mais sont dans le vrai ». Assurément, Courcol cherche une « vérité de l’histoire », mais son film, sans être honteux, ne produit pas grand-chose de plus qu’un « triomphe » consensuel – car il y a bien une chose que le film prend le temps de figurer : la fin des représentations, et la célébration collective qui les accompagne, dans une mise en abyme de ce que le récit tente d’accomplir.