Coproduit à la fois par Cuba et les États-Unis, Una Noche porte en lui une schizophrénie qui trouve sa cohérence dans le mouvement désespéré qu’il dessine : celui d’une fuite en avant périlleuse menée par quelques adolescents cubains accablés par leur quotidien sur une île-prison gangrenée par la pauvreté et le Sida. Du pouvoir politique, il n’est jamais question dans le film : loin d’être des révolutionnaires, les personnages principaux d’Una Noche ne se perçoivent jamais comme en butte aux représentants d’un système étatique. Le film étant produit et tourné à Cuba, on pourrait facilement imaginer que la réalisatrice s’est auto-censurée (ou l’a été directement par Cuba) dans sa dénonciation d’une situation sociale. Mais l’intention n’est peut-être pas là : si la question de la migration reste un leitmotiv permanent, elle est toujours parasitée par des enjeux affectifs qui ramènent chacun à un territoire plus intime que politique. Impossible de distinguer ce qui constitue le premier plan du second, Lucy Molloy assume avec un certain panache cette ambiguïté.
De l’exotisme…
Pourtant, il y avait de quoi rester méfiant face à ce qui pourrait se présenter comme un nouvel avatar du cinéma world où la dignité des personnages devient un argument de promotion auprès d’un public occidental en mal de bonne conscience. Les clichés autour de Cuba sont légion et la représentation que fait la réalisatrice de son pays natal ne les dément pas tout à fait : ici, la pauvreté ne met jamais en défaut la sensualité exacerbée de ses habitants, preuve en est le physique très attrayant des trois acteurs principaux qu’on s’attache pourtant à nous présenter comme des Cubains lambda. Malgré tout, la réalisatrice parvient à rendre concrète cette cassure intérieure qui conduit des citoyens à tout abandonner pour partir vers un ailleurs qui fera d’eux des orphelins. Le sida et la prostitution font tellement partie du quotidien que la mise en scène ne tombe jamais dans la démonstration démagogique et le montage se montre généreux en ellipses qui n’éludent pourtant jamais la cruauté de la situation.
… à l’isolement
Le dernier tiers du film est probablement la partie la plus réussie d’Una Noche. Lancés sur une embarcation de fortune, les trois adolescents font le pari insensé de rejoindre les 90 miles qui les séparent de la Floride. À cet instant précis, Cuba n’existe plus et les États-Unis restent un ailleurs encore trop lointain pour autoriser les projections. Seuls et sans aucun repère terrestre à l’horizon, les personnages voient leur monde – et leurs désirs – circonscrits à deux mètres carrés de fortune : Ellio explicite son attirance homosexuelle pour Raúl, le petit macho qui n’a d’yeux que pour Lila, la sœur complexée d’Ellio. Il y a entre eux une circulation de sentiments qui constituent une boucle fermée tout autant qu’elle ramène chacun à son incapacité à atteindre l’autre désiré. À cette solitude ressentie répond finalement la peur, celle de mourir, et le regret, celui d’avoir tenté de déjouer la fatalité, ce qui, en quelque sorte, en dit long sur le désespoir cubain.