Avec son air mutin, ses yeux pétillants et son allure de jeune fille sage qui ne demande qu’à faire les 400 coups, l’exquise Carey Mulligan est la principale raison d’aller voir Une éducation. L’éclosion d’une actrice sur grand écran est un plaisir dont on ne se lasse jamais, et l’énergie avec laquelle la comédienne de 24 ans s’empare de ce rôle écrit sur mesure est parfaitement communicative. À l’origine, il y a une histoire vraie : celle de la journaliste anglaise Lynn Barber, qui évoqua sa propre histoire dans une autobiographie. Adaptée pour le cinéma par un autre écrivain, Nick Hornby (auteur, entre autres, de merveilles comme Haute fidélité, Pour un garçon ou La Bonté, mode d’emploi), l’adolescence de l’autrice prend la forme d’un récit initiatique enlevé et très divertissant, un cinéma pop haut de gamme à la morale joliment subversive.
L’action se passe à Londres, au tout début des années 1960. Issue de la petite bourgeoisie, Jenny a 16 ans, un esprit bien fait dans un corps sain et se prépare à intégrer la prestigieuse université d’Oxford. Intelligente et curieuse, la jeune femme cultive un humour décalé pour mieux digérer la monotonie d’un quotidien un peu terne. Lorsqu’un beau jour, David, un homme mystérieux, séduisant et bien plus âgé qu’elle fait irruption dans sa vie, Jenny se réveille et commence à envisager le monde et son avenir… autrement. A priori, le film avance sur un terrain balisé : l’Angleterre encore coincée des écoles pour jeunes filles et des jupes plissées, le désir naissant d’une adolescente pour un homme mûr, la découverte d’un autre monde à deux pas de la maison familiale… Mais Nick Hornby insuffle à l’ensemble une légèreté inattendue et rafraîchissante. Ne cherchant jamais à s’appesantir sur les travers des personnages, le scénario privilégie l’humour gentiment caustique au psychodrame familial, sans pour autant négliger les enjeux, parfois dramatiques, qui se nouent.
Le décalage qui se crée est un vrai régal et relève du travail d’orfèvre ; en équilibriste, l’écrivain-scénariste parvient à installer une atmosphère douce-amère où l’inéluctabilité du destin des personnages donne un goût âpre aux moments les plus sucrés, et inversement. Très en retrait, la mise en scène vient hélas quelque peu ternir l’ensemble. Le film est co-produit par la BBC, et cela se sent dans le moindre (non-)mouvement de caméra : on aurait aimé plus de folie dans l’évocation du sentiment de liberté qui étreint l’héroïne lors de ses folles escapades, plus de lyrisme dans sa passion amoureuse, plus de tension dans les drames qui viennent briser les personnages. À l’inverse, comme dans la moindre panouille produite par la télé anglaise, les comédiens sont grandioses, de l’Américain Peter Sarsgaard (David), parfait d’ambiguïté et de séduction gauche, à Alfred Molina, truculent dans le rôle du père de Jenny, en passant par Rosamund Pike, qui réussit l’exploit de créer le personnage de Blonde le plus drôle et le plus touchant que l’on ait vu depuis des lustres.
La fin, plus inattendue et étonnante qu’il n’y paraît, souffre d’être un peu expédiée, mais elle contribue néanmoins à la réussite de l’ensemble : Une éducation est un film lumineux et virevoltant, où même les personnages les plus joyeux cachent dans leur regard une émouvante mélancolie et où les stéréotypes redoutés ne peuvent rien contre l’extraordinaire volonté d’une héroïne très chic. Pas un grand film, mais un film drôlement chouette.